« Au soir de sa vie, Delors contemple son oeuvre en train de brûler sous ses yeux »

Le réquisitoire de Zemmour est implacable mais mérité pour l’ancien président de la Commission de Bruxelles, qui après avoir plongé l’Europe dans le « bain glacé » de la mondialisation s’étonne que le Titanic soit en train de couler : « Au lieu d’invectiver ses lointains successeurs, Jacques Delors devrait peut-être leur présenter ses excuses lui aussi, de leur avoir laissé entre les mains une utopie hautement inflammable, au lieu de s’étonner qu’elle flambe ».

Un autre avis particulièrement complet et lucide, celui de l’économiste Jacques Sapir, qui montre bien que tous ces apprentis sorciers qu’on appelle les « pères de l’Europe » n’ont jamais eu en tête que l’abandon des Etats-nations et la fuite en avant vers un fédéralisme européen, au nom de la « contrainte économique » :

« La réaction de Jacques Delors est juste, mais bien tardive. Comment pouvons-nous prendre au sérieux un homme qui a conçu un système dont l’aboutissement logique est la crise actuelle, et qui vient maintenant déplorer celle-ci ? Il faut rappeler le rôle extrêmement néfaste qu’ont eu un certain nombre d’hommes politiques français, ainsi que des hauts fonctionnaires, qu’il s’agisse de Jacques Delors, de Pascal Lamy ou d’autres, dans la déréglementation financière généralisée que nous avons connue en Europe à partir de 1985-1986. Sur le fond, on a voulu faire avancer la solution d’une Europe fédérale sans le dire aux populations.

La construction européenne a été faite de telle manière qu’elle incluait des déséquilibres structurels dont les pères de l’Europe espéraient que les solutions iraient chaque fois un peu plus en direction du fédéralisme. Ce fédéralisme furtif, ou clandestin, comme l’on veut, ne tenait pas compte des réactions des peuples, et ne tenait pas compte de l’enracinement extrêmement profond des nations qui constituent l’Europe. On peut toujours aujourd’hui reprocher aux différents pays leurs égoïsmes, on peut toujours aujourd’hui reprocher aux classes politiques de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, leur manque d’initiative et leur aveuglement face à la crise de l’euro, qui était une perspective inévitable depuis 2009.

Mais sur le fond toutes ces incompétences renvoient en réalité à un projet politique. Ce projet qui avait été refusé lors du référendum de 2005, que ce soit en France ou aux Pays-Bas, et que l’on a cherché à imposer malgré tout via la notion de contrainte économique. Mais les faits sont têtus, et quand on les méprise, ils se vengent ».

(source : Le Monde, 19 septembre 2011, « La dette de la Grèce est aujourd’hui impossible à rembourser« )

A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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Un commentaire pour « Au soir de sa vie, Delors contemple son oeuvre en train de brûler sous ses yeux »

  1. Jean LENOIR dit :

    Bien sûr le Titanic et ses cloisons étanches tronquées… Je te reconnais bien là mon paquebot parabole de l’impéritie économique que j’ai écrite un jour de juin 2008, époque où la crise financière n’impactait pas l’économie réelle (ça vous savez encore qui l’a dit : devinette ?). Qui s’en souviendra quand je ne serai plus là !
    Trèves de vague à l’âme, voilà ce qui se passe quand manque le courage économique, la lucidité politique et que ne règne que la technocratie de la (mauvaise) règle à calcul. Monsieur Delors peut s’indigner, comme s’indignera peut-être un jour sa fille Martine Aubry qui nous a bien pondu les 35 heures, à contretemps et avec les dégâts collatéraux que l’on connaît bien.
    J’avais écrit à Jospin pour lui proposer les 32 heures avec une diminution de 20% des effectifs de la fonction publique : seule et dernière fois où j’avais écrit à un homme politique. De façon surprenante la lettre avait été passée à un sous-fifre qui m’avait dit la faire passer …devinez à qui en me remerciant de l’intérêt que je portais à la future réforme du temps de travail, en arbitrage.
    Par chance, j’ai toujours vérifié périodiquement les bossoirs du navire afin de pouvoir embarquer sain et sauf, la catastrophe survenue.
    S’engager dans l’action devient difficile quand tous les jouets sont cassés : les politiques grands et petits font maintenant l’apprentissage de la soupe à la grimace.

    Bonne indigestion

    Jean LENOIR

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