Attention, cet homme est brillant. Frédéric Lordon, économiste spinoziste spécialisé dans l’étude du capitalisme financier, nous propose une analyse de la tension qui est la nôtre aujourd’hui, écartelés que nous sommes entre la nécessité absolue de sauver les banques et le « scandale sans nom » que ce sauvetage représente.
(Ce soir ou jamais, France 3, mardi 11 octobre 2011)
La place très spécifique des banques au cœur du système économique et social leur a permis de nous prendre en otages. Une prise d’otages « cosmique » si l’on imagine ce qu’entraînerait une faillite du système bancaire. Les dépôts, l’épargne et la gestion des moyens de paiement sont en effet des biens publics vitaux, qui ont été abusivement confiés à des intérêts privés. Ce qui nous oblige à sauver les banques. Mais, à la différence de ce qui s’est passé en 2008-2009, il faut le faire en les « dé-privatisant », c’est-à-dire en les nationalisant intégralement dans un premier temps (à coût quasi nul grâce à l’effondrement attendu de leur valeur boursière), puis en organisant un système socialisé du crédit, ou « communalisation ». Sur un mode coopératif ou mutualiste qui reste bien entendu à inventer concrètement…
Lire aussi :
Les fonds propres ne constituent cependant que l’un des aspects de la solidité des banques, comme le montre le démantèlement actuel de la banque Dexia qui, bien qu’ayant passé avec succès les tests de résistance en juillet, en affichant un ratio de fonds propres « durs » de 10,4 % en cas de choc économique majeur, a chuté sur un manque de liquidités.
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/banque/20111013trib000656325/banques-et-maintenant-l-addition-.html
L’exemple de Dexia a montré qu’un niveau de 10,4 % de fonds propres durs, c’était insuffisant. Dexia avait 10,4 % de fonds propres durs, et pourtant Dexia est morte.
En Suisse, les grandes banques devront avoir un niveau de fonds propres durs de 19 %.
Le projet prévoit en substance que les banques trop grandes pour faire faillite, comme UBS et Credit Suisse, devront doubler le niveau de leurs fonds propres (19 % des actifs pondérés en fonction des risques, contre 8 % actuellement), remplir des exigences plus sévères en matière de liquidités, et améliorer la répartition des risques.
http://www.tdg.ch/actu/suisse/national-serre-vis-face-grandes-banques-2011-09-19
Bonjour,
Je suis assez d’accord sur le fait que l’augmentation des fonds propres est une solution pour sécuriser une banque. Il est à observer toutefois que cette seule augmentation ne suffit pas et que des règles impératives, la « loi » des pratiques bancaires (ainsi qu’il en existe dans les certaines professions, santé, transports, alimentation…) soit une loi dure et que la contrainte soit effective. Egalement avoir deux systèmes financiers différents, d’une part les établissements de dépôts et de prêts et de l’autre les établissements « casino » a pour conséquence que l’on peut assurer l’équilibre des premiers en raison du caractère vital qu’ils représentent et que la vie et la mort des établissements casino sont immunisées de quelque plan de sauvetage que ce soit.
En mémoire l’affirmation que le Directeur de l’agence patrimoine d’une de mes banques qui me lançait en 2007, avec un mauvais sourire (je lui prédisais que les banquiers gigoteraient accrochés aux réverbères) que les états étaient contraints de sauver les banques et que les sauvetages seraient de plus en plus fréquents…
Seulement les sauvetages ont une limite et, à la différence, de Frédéric Lordon la piste qui consiste à scinder l’activité commerciale dans la chute domino, quoiqu’on fasse, inévitable du système bancaire, de l’activité marché – pour recapitaliser uniquement, l’activité commerciale et assurer le fonctionnement des échanges fiduciaires est, à mon sens, la seule praticable – les peuples n’en ont d’ailleurs nullement les moyens puisqu’à travers les états c’est bien de leur sort qu’il s’agit.
En quelque sorte une impérative islandisation de la sortie de crise qui laisse les acteurs du marché, lesquels l’auront mille fois mérité, totalement et définitivement rincés.
Jean LENOIR
Quand j’ai vu Frédéric Lordon chez Taddéi. Son analyse m’a beaucoup impressionné comme un langage de vérité auquel on est pas habitué. Mais ici à le réentendre, il ya quelque chose qui cloche dans sa rhétorique. Il me fait penser à un vendeur en sécurité, (alarme, portes blindées…) qui utilise lapeur comme vecteur de communication. Ici, Frédéric Lordon fait de même en nous refaisant sa théorie du « Too big Too fail ».
Je pense qu’il y a de bonne choses qui se disent à droite comme à gauche mais opposé l’un à l’autre m’apparaît comme extrêmiste. Cen’est pas l’un contre l’autre ou mâme l’unou l’autre mais l’un et l’autre que j’aimerais entendre et ce que je vais essayé de dire dans ce commentaire.
A présent, beaucoup conviennent que l’Etat reprenne la main en matière de création monétaire pour enterrer la Loi de 1973 (Pompidou-Rotchild-d’Estaing), beaucoup dénoncent la socialisation des pertes et la privatisation des profits des banques en faillite, beaucoup souhaitent distinguer les banques d’affaires des banques de dépôts… Mais est-ce que ces raisons sont suffisantes pour nationaliser tout le système bancaire. J’en doute!
La gestion purement bureaucratique, administrative, de fonctionnaires… serait le pire des moyens.
Le financement de l’économie est une affaire de fonctionneurs. L’esprit d’entreprise est relative à la culture du risque. Prêter de l’argent pour finance l’économie, soit les entreprises et les ménages nécessite culture qui lui est propre et non pas une gestion pantouflarde d’employés de bureaux.
C’est justement toute la limite de l’intervention de Lordon…et lui même en convient d’ailleurs ! Quand il dit « dé-privatisation des banques » il ne dit pas « Gosplan ». C’est toute l’architecture institutionnelle de cette nouvelle configuration qu’il convient de penser et on ne peut le faire en dix minute chez Taddei. Réduire un système socialisé du crédit, dé-privatisé donc à une « gestion pantouflarde d’employés de bureaux » me semble relever soit d’un manque d’imagination soit de la simple mauvaise fois. Refuser de penser l’alternative ou la rendre impensable d’un simple mouvement circulaire de la réflexion ( du type le système est comme ceci donc il doit être comme ceci) est la principale barrière à une vrai réforme-révolution-évolution de la société… Il me semble.
Pour aller plus loin sur le système socialisé du crédit voir :
http://blog.mondediplo.net/2009-01-05-Pour-un-systeme-socialise-du-credit
@bugli, Mauvaise foi ou manque d’imagination… je ne comprends pas.
Revisionnez l’intervention de Lordon.
Quand un chercheur au CNRS commence un discours en instaurant un climat d’angoisse pour apporter des solutions à une situation d’urgence, je trouve que cela relève plus de la technique de manipulation que du discours scientifique.
Cette formule péjorative « une gestion pantouflarde d’employés de bureaux » ne veut pas dire pour autant que je cautionne « une gestion cupide de traders psychopathes ».
La complexité du système bancaire ne se résume pas un idée l’une contre l’autre… l’une ou l’autre mais de mon point de vue à la recherche d’un équilibre soit l’un et l’autre. Pourquoi répondre aux manques de régulation, d’autorité du libéralisme… par un excès d’interventionisme?
Oui pour un contrôle de la création monétaire par l’Etat pour le financement des politiques publiques; Oui pour une distinction des banques d’affaires des banques privées,Oui pour un financement de l’économie auprès des ménages et des entreprises par des banques commerciales mais aussi coopératives, mutualistes, de services publics, islamistes, éthiques…
Permettez-moi de préférer la diversité à l’uniformité. Merci!
Lordon est condamné à naviguer entre deux écueils. Il part d’un constat : le système actuel qui confie à des actionnaires privés des choses aussi vitales pour la collectivité politique (le corps social, la Nation, vous mettez ce que vous voulez) que les dépôts bancaires et le système des paiements doit être supprimé. Si on ne le fait pas, on se place en situation de devoir indéfiniment sauver la mise auxdits actionnaires privés, sous peine de crever avec eux dans un effondrement systémique du secteur bancaire.
Donc, il faut soustraire dépôts et systèmes de paiement aux actionnaires privés (les solutions du type Glass-Staegal n’étant apparemment plus suffisantes dans le dans le monde d’aujourd’hui). Qui peut les prendre en charge ? Dans l’immédiat, hormis l’Etat, on ne voit pas qui pourrait s’en charger.
Mais cela ne peut-être qu’une solution temporaire, dès lors qu’il est malsain, pour Lordon, de laisser à l’Etat la gestion des dépôts, du crédit et donc, in fine, de lui donner la mainmise sur la création monétaire (risque inflationniste) .
C’est pourquoi, dans l’esprit de Lordon, la prise en charge de l’épargne et du crédit par l’Etat doit céder la place à un système bancaire/de crédit qui ne soit ni privé, ni public, mais ce qu’il appelle « communalisé ». Ce qu’il entend par-là, c’est un système qui soit géré par l’ensemble des acteurs dans leur intérêt commun, que le crédit soit accordé par un ensemble composés de professionnels techniciens, de représentants des prêteurs, de représentants des entreprises et des ménages emprunteurs.
Est-ce une utopie ? Je ne crois pas. Des systèmes de ce genre (ont) exist(é)nt dans différents domaines d’activité. Dans l’administration de la justice, par exemple, certains pays ont des juridictions composées de professionnels et d’acteurs de terrains (représentants des patrons, représentants des travailleurs pour les juridictions prud’hommales, commerçants pour les tribunaux de commerce, etc.) On peut aussi penser à la participation salariée, etc…
Le propos de Lordon est donc qu’il faut trouver un mode d’organisation de la collecte de l’épargne et de l’octroi des crédits qui permettent d’éviter qu’ils soient accaparés soit par des intérêts privés, soit par l’appareil d’Etat, et qui fasse en sorte qu’il soit géré pour le bien commun.
Bien sûr, une telle communalisation peut ne pas fonctionner (une fois installés, les représentants des uns et des autres se trouvent finalement un intérêt commun à s’octroyer des petits passes-droits et privilèges). Mais il faut alors affiner les modalités d’organisation pour éviter ces problèmes.
Quoi qu’il en soit, le propos de Lordon n’est pas de dire qu’un banque publique est mieux qu’une banque privée; il est simplement de constater que la collecte de l’épargne et l’octroi de crédit sont deux biens communs et qu’il faut tout mettre en oeuvre pour éviter qu’ils soient accaparés par des intérêts particuliers (ceux d’actionnaires privés comme ceux de l’appareil d’Etat).