Pour un démontage concerté de l’euro

A rebours des prévisions apocalyptiques de l’institut Montaigne (publiées le 13 décembre dans Les Echos), plusieurs économistes indépendants proposent une sortie organisée et concertée de la monnaie unique, selon des modalités techniques très précises.

« La véritable cause de la crise de l’euro, c’est la montée inexorable de la dette extérieure dans la moitié des pays de la zone. La nécessité de faire appel à des capitaux étrangers indique que la question cruciale est que leurs ressources propres n’ont pas été utilisées suffisamment pour développer les capacités productives des pays concernés et les rendre compétitives. Si l’on retranche les créances que possède chacun des pays, une dette extérieure nette touche les deux tiers des membres de la zone euro.

Les plus affectés sont les pays les moins compétitifs, comme la Grèce, le Portugal et l’Espagne ainsi que l’Irlande. Un deuxième groupe de pays comprend l’Italie, où la dette extérieure nette est de 27 %, et la France, dont les 30 % sont dus pour l’essentiel à une accumulation de sorties de capitaux d’investissements directs à l’étranger ; pour la Finlande et l’Autriche, la dette nette demeure minime, représentant moins de 8 % de leur PIB. Non seulement les autres pays de la zone euro ne sont pas concernés, mais ce sont au contraire des créances extérieures nettes qui apparaissent pour les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et surtout pour l’Allemagne.

Dans ces conditions, l’obstination des gouvernants à foncer, à marche forcée, dans l’impasse de l’euro ne peut conduire qu’à une aggravation générale de la situation économique en Europe. Bien que nos concurrents américain et chinois aient intérêt à la survie de la monnaie unique européenne, celle-ci est condamnée, tôt ou tard, à une explosion incontrôlable. C’est pourquoi, afin d’éviter ce désastre, les signataires de ce texte proposent qu’une concertation européenne soit engagée en vue d’aboutir au démontage nécessaire de l’euro. Celui-ci pourra se faire selon les six modalités suivantes.

1) Des monnaies nationales seront recréées dans chacun des pays de la zone. Cela se fera en échangeant un euro existant contre une unité de cette nouvelle monnaie. Pour les billets, il suffira d’une courte période de transition, pendant laquelle les anciens billets en euros – émis par chaque banque nationale et portant aujourd’hui un signe distinctif selon le pays (marque « U » pour la France) – seront surchargés d’un tampon, avant qu’une quantité suffisante de nouveaux billets n’ait été imprimée en vue d’un échange. Pour les pièces, l’échange pourra se faire très vite puisque celles-ci comportent déjà une face nationale.

2) A la date du démontage de l’euro, les parités monétaires des nouvelles monnaies nationales, les unes par rapport aux autres, seront définies d’un commun accord, afin de rétablir des conditions normales d’échange. Là se trouve le seul moyen de résoudre valablement le problème principal, qui est celui des dettes extérieures nettes. On tiendra compte de la hausse des prix de chaque pays depuis la création de l’euro et de la situation de ses échanges extérieurs. Les dévaluations ou réévaluations nécessaires seront définies vis-à-vis d’une unité européenne de compte, dont la valeur internationale sera calculée par une moyenne pondérée des taux de change des monnaies nationales, comme c’était le cas pour l’ancien écu.

3) A l’intérieur de chacun des pays resteront inchangés, à la date du démontage, les prix des biens et des services, de même que les valeurs des actifs et des comptes bancaires. La disparition de l’euro fera que la dette publique de chaque Etat sera convertie dans la monnaie nationale correspondante, quels que soient les créanciers, à l’exclusion de ceux qui détiennent des créances commerciales. En revanche, les dettes extérieures des agents privés, de même que leurs créances commerciales extérieures, seront converties dans l’unité européenne de compte. Bien que cette solution favorise les pays forts et défavorise les pays faibles, elle est la seule réaliste afin d’assurer la pérennité des contrats conclus antérieurement.

4) Sans qu’il soit besoin d’établir un contrôle des changes, tous les gouvernements déclareront des vacances bancaires pendant une période limitée. Ils fermeront temporairement les banques pour déterminer celles qui sont viables et celles qui devront faire appel à la banque centrale. Les cotations seront arrêtées pendant cette période. La solution consistera sur la base d’un principe universel à décider que la garantie sera supportée par les banques centrales, qui abandonneront leur indépendance et retrouveront les statuts d’avant les années 1970. L’Etat protégera les épargnants, en prenant si besoin le contrôle d’une partie du système bancaire.

5) Les taux de change nominaux des monnaies nationales resteront fixés, durant cette même période, selon les parités décidées d’un commun accord. Ensuite, ils feront l’objet d’un flottement concerté sur le marché, à l’intérieur d’une marge de fluctuation de + 10 %. Un nouveau système monétaire européen pourrait alors être étudié afin de stabiliser les taux de change réels.

6) Cette opération serait facilitée si, préalablement au démontage de l’euro, son taux de change s’était fortement déprécié vis-à-vis des autres monnaies. La fin d’un euro cher ne sera sans doute pas acceptée par tous nos partenaires ni par la Banque centrale européenne, mais la France pourra y contribuer préalablement en abrogeant la loi Giscard de 1973. Celle-ci, qui interdisait le financement de la dette publique par la banque centrale, avait d’ailleurs été consolidée une première fois dans le traité de Maastricht, puis une seconde dans le traité de Lisbonne.

Dans le futur, nous pensons que l’on ne pourra pas faire l’impasse sur les problèmes qui ont été masqués par la crise de l’euro, en particulier l’emballement de la création monétaire privée et la dérive mondiale des systèmes bancaires, conséquence de l’abolition du Glass-Steagall Act. Adoptée en 1933 (abolie en 1999) à la suite de la crise de 1929, la législation bancaire stricte Glass-Steagall Act a, notamment, séparé les banques de dépôt des banques d’investissement aux Etats-Unis ».

Gabriel Colletis, Alain Cotta, Jean-Pierre Gérard, Jean-Luc Gréau, Roland Hureaux, Gérard Lafay, Philippe Murer, Laurent Pinsolle, Claude Rochet, Jacques Sapir, Philippe Villin, Jean-Claude Werrebrouck, économistes.

Tribune parue dans l’édition papier du journal Le Monde le 24 décembre 2011.

Edition numérique datée du 23 décembre.

A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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13 commentaires pour Pour un démontage concerté de l’euro

  1. Achille Tendon dit :

    Tout cela est très joli sur le papier, encore faudrait-il qu’avec une séparation des dangers financiers, vienne s’y adjoindre une limitation et un contrôle plus stricts des « produits financiers » lancés sur le marché avec le prétexte du « bien de l’investisseur ».

    En somme et en résumé, faisons en sorte que la laine tondue sur notre dos ne serve pas à nous tricoter un chandail qui soit plus petit que celui qui nous était destinés, à nous pauvres contribuables !!!

  2. Wallis dit :

    à mon avis ils ont raison : agir d’abord sur les aspects sur lesquels on a prise (l’euro); pour les produits financiers toxiques (dérivés) on pourra plus tard car c’est un pb mondial bcp plus difficile à régler c’est tout le système financier mondial qui est à revoir.

  3. Jean LENOIR dit :

    Bonjour,

    Assez d’accord avec ce qui précède, j’ajouterais que c’est bien de vouloir réparer le meccano alors que toutes les pièces sont faussées ou cassées.
    Le scénario ci-dessus me paraît bien optimiste : nous ne sommes plus il y a 10 ans en pleine crise argentine – je ne varie pas dans ce que j’ai posé il y a quelque temps sur le sujet.

    Jean LENOIR

  4. Geraldine dit :

    Quoi qu’il arrive on n’échappera pas au scénario attendu de monétisation à outrance… chez nous en Europe aussi bien qu’aux USA.

    Sortir de l’euro c’est indispensable et de toute façon inévitable ; séparer les banques de dépôts et d’investissement idem ; mais le problème des bulles d’endettement ne sera pas résorbé pour autant, le système financier de la planète est depuis longtemps en coma dépassé et une grande purge va devoir se produire.

  5. BA dit :

    Mercredi 28 décembre 2011 :

    Banques de la zone euro : nouveau record des dépôts au jour le jour : 452 milliards d’euros.

    Les dépôts au jour le jour des banques auprès de la Banque centrale européenne (BCE) ont franchi un nouveau record, après celui atteint la veille, selon des chiffres publiés mercredi par la BCE sur son site internet.

    Les banques ont déposé 452 milliards d’euros auprès de l’institution monétaire de Francfort entre mardi et mercredi contre 411,81 milliards d’euros la veille, des niveaux jamais atteints jusqu’ici et qui témoignent des dysfonctionnements sur le marché inter-bancaire.

    Le précédent record remonte à juin 2010, avec 384,3 milliards d’euros de dépôts. Les dépôts avaient ensuite progressivement diminué avant de connaître de nouveaux pics depuis l’été et l’aggravation de la crise de la dette en zone euro.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=ECBLDEPO:IND

  6. BA dit :

    L’Eurosystème est une institution européenne, qui regroupe la Banque centrale européenne (BCE) et les banques centrales nationales (BCN) des États membres de l’Union européenne ayant adopté l’euro.

    Au vendredi 23 décembre 2011, le capital et les réserves sont de 81,481 milliards d’euros.

    Les soi-disant « actifs » de l’Eurosystème sont de 2733,235 milliards d’euros.

    En clair : le capital et les réserves de l’Eurosystème constituent seulement 2,98 % des « actifs » de l’Eurosystème.

    Sur ces soi-disant 2733 milliards d’euros d’ « actifs », combien de dizaines de milliards sont en réalité des actifs pourris ?

    Regardez la rubrique « Titres détenus à des fins de politique monétaire » : 273,041 milliards d’euros !

    http://www.ecb.int/press/pr/wfs/2011/html/fs111228.fr.html

    Aujourd’hui, l’Eurosystème est devenu une gigantesque fosse à merde.

  7. Maurice Ferrier dit :

    Bref, si l’on a bien compris, cette proposition reviendrait à retourner à la situation « ante EURO » où chaque monnaie nationale pouvait être dévaluée (particulièrement en France !!) où réévaluée (en Allemagne surtout) officiellement ou officieusement (par le marché) sans frein…
    Et vous parlez, sans rire, de la « protection des épargnants », voire de celle du pouvoir d’achat ??
    C’est donc une sorte de retour au « serpent monétaire » mais avec des « marges de fluctuation » probablement élargies, la fin de toute solidarité européène donc la fin de l’Europe et, en tous cas, pour les Français, la promesse d’une monnaie faible et d’une inflation accélérée….
    Aucune autre solution quelque peu innovante ? On veut encore l’espérer…

    • Geraldine dit :

      Un retour à des monnaies adaptées à la situation économique de chaque pays : Vous avez mieux à proposer, Maurice ?

    • misstik dit :

      Maurice a sans doute envie de poursuivre cette formidable aventure de l’euro ? croissance, emploi, pouvoir d’achat, protection contre les crises….. le bonheur, quoi !

  8. Geraldine dit :

    Sur l’euro, Charles Gave dans La Tribune : « Nous vivons une tentative de coup d’Etat larvé ».

    Vous évoquez une « tentative de coup d’État ». Pourquoi cette tentative : par volonté de puissance ou parce que, sincèrement, ces politiques pensent que l’Europe est une solution ?

    « Depuis soixante ans, coexistent deux idées européennes. La première, celle de De Gasperi, Adenauer, Pie XII et Robert Schumann, voulait recréer l’Europe catholique des XIIe et XIIIe siècles, et voyait dans l’Europe un espace de liberté basé sur le principe de la subsidiarité. En cas de problème entre deux entités, on en appelle à l’échelon supérieur et on crée des instances d’arbitrage. La seconde est celle de Jean Monet et des technocrates français qui ont décidé de créer un État pour faire renaître l’Empire romain afin de s’opposer aux Américains et d’empêcher la domination allemande. Cette vision l’a emporté. Évidemment, la volonté d’augmenter leur pouvoir personnel existe aussi. Ces technocrates pensent que leur rôle est d’assurer le bonheur des peuples malgré eux. Ils ne croient pas à la liberté individuelle. Il suffit d’observer les institutions européennes : il n’y a pas de séparation des pouvoirs. »

    ………………..

    Nombre d’économistes mettent en garde sur les conséquences de la fin de l’euro. Qu’en pensez-vous ?

    Je ne suis pas très inquiet. Ceux qui vous expliquaient que l’euro allait rendre les femmes plus belles et les oiseaux plus chantants, comme Alain Minc et Jacques Attali, nous expliquent à présent que, si l’on quitte l’euro, ce sera le désastre absolu. Ils se sont trompés. Ils n’ont rien vu, rien compris. Pourquoi leur donner de la crédibilité sur l’après-euro ? C’est comme demander au général Gamelin [chef des forces françaises en 1940, Ndlr] de diriger le débarquement en Normandie. Concrètement : le système bancaire européen est en faillite, le taux de chômage, Allemagne exceptée, est historiquement élevé, la moitié des États européens n’ont plus accès aux marchés financiers dans des conditions normales, la Bourse de Paris n’a pas cessé de reculer depuis la création de l’euro. En 2000, le niveau du CAC était deux fois plus élevé qu’aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que l’euro conduit à une mauvaise allocation des capitaux et fait passer l’argent de ceux qui le gagnent à ceux qui ne le gagnent pas. Ceci conduit toujours à un marché vendeur qui, d’ordinaire, ne dure pas plus d’un an et demi. Mais ce marché vendeur dure en Europe depuis dix ans parce que le secteur public, la BCE et les politiques dépensent l’argent du futur pour maintenir une unité qui ne tient pas la route. Le désastre n’est-il pas suffisant pour que l’on passe à autre chose ?

    …………………

    http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20111229trib000674364/nous-vivons-une-tentative-de-coup-d-etat-larve.html

    • Maurice Ferrier dit :

      Le hic, c’est que c e n’est pas l’Euro qui est responsable de ce que vous dénoncez, bien au contraire !
      Si celui-ci a provoqué une certaine hausse des prix au départ du fait d’une certaine « générosité » dans les taux de conversion des monnaies nationales faibles (peseta par exemple), il n’est pas en cause ensuite.
      Le véritable fond du problême date de 30 voire 40 ans lorsque le crédit à la consommation, non productif par définition, a commencé (« prenez vos vacances maintenant, vous paierez plus tard » clamait-on, au Credit Lyonnais, entre autres, qui avait couvert les murs de Paris d’affiches sur ce thème !)
      Celà a été le coup d’envoi de ce type de crédit, très rentable pour les Banques notamment, qui, depuis, a connu une expansion absolument démentielle et qui, malheureusement, se poursuit de plus belle sans que personne tente d’y mettre un frein, à gauche comme à droite!! Pourtant les « clignotants » n’ont pas manqué mais qu’importe!!
      D’où cette gigantesque »industrie financière » qui, dévorant tout, a « oublié » de financer l’industrie tout court, à savoir la production de biens d’investissement seuls capables d’engendrer de la richesse réèlle.
      Les Etats ont fait de même: distribuer de l’argent à tout va en s’endettant sans aucun souçi de l’avenir sauf celui des élections…
      Et celà est allé de pair avec le vieillissement des populations faute de natalité suffisante, 2° source d’hypothèque de l’avenir.
      Le résultat, on le voit depuis et ces 2 sources de ruine restent quasiment ..tabou!

  9. Jean LENOIR dit :

    Euro ou pas, l’année nouvelle sera riche en événements et pauvre économiquement. Nous entrons dans une ère faite de pénurie financière où, seul le pouvoir (qui n’a rien compris) augmente les impôts sans diminuer le poids de l’état – se passant par là-même un lacet autour du cou.

    Bonne année à tous

    Jean LENOIR

  10. DLR dit :

    Nicolas Dupont-Aignan : « Si l’on sort de l’euro, on pourra financer notre dette grâce à la Banque centrale nationale »

    http://www.bfmbusiness.com/interview/si-l%E2%80%99-sort-de-l%E2%80%99euro-pourra-financer-notre-dette-gr%C3%A2ce-%C3%A0-la-banque-centrale-nationale-1119

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