Crise : les aveux de Michel Rocard

Formidable ! Il n’est jamais trop tard pour se racheter. A 82 ans, un homme politique à la retraite peut enfin lâcher quelques vérités.« On pouvait faire autrement. Mais on n’a pas fait autrement ». Rocard dénonce pêle-mêle, dans son style un peu brouillon, la loi inique du 3 janvier 1973, le sauvetage des banques post Lehman Brothers qui a précipité la faillite financière des Etats et la bombe des dérivés qui peut exploser à tout moment…

(Europe 1, 22 décembre 2012)

Extraits :

– Je ne crois pas que les crises soient cycliques. Permettez-moi de rappeler que de 1945 à 1972 ou 73, il n’y a jamais, JAMAIS – ça fait près de 30 ans – JAMAIS eu de crise financière, pas de crise cyclique. On savait faire. On a méthodiquement cassé tous les régulateurs qui empêchaient ça depuis, et maintenant nous avons retrouvé une grande crise cyclique tous les 4 ou 5 ans, c’est vrai. Ça fait un cycle presque court. Mais ce n’est pas la vraie analyse de ce qui se passe maintenant. Il faut se souvenir de Lehman Brothers à qui j’ai fait allusion tout à l’heure. Il y a eu en 2007-2008 une explosion mondiale terrible qui a commencé aux Etats-Unis, avec une explosion dans l’immobilier. On avait trop prêté sans faire attention aux conditions auxquelles on prêtait, il y avait même une prime supplémentaire – la sub-prime et ce système bancaire a fait une bulle, et a complètement explosé. Ça, ça a dégénéré et ça a entraîné une faillite générale, qui avec la faillite de Lehman Brothers et celle d’un millier de banques américaines quand même, a entrainé un début de récession mondiale. On a eu – 3% du PIB en 2009. C’était une crise de la finance purement privée, les Etats n’y étaient pour rien. Mais nous étions déjà dans un système qui encourageait les Etats à s’endetter. Qu’est-ce qu’on a fait à ce moment là ? On a décidé au G20 (proposition : SARKOZY d’ailleurs, soutient immédiat : OBAMA, écriture du texte : Premier ministre anglais – BROWN, il s’appelait – et on a décidé de faire intervenir les contribuables, les Etats pour empêcher les banques de s’écraser plus complètement. On a donc presque créé une nouvelle crise, celle de la dette souveraine, qui n’existait pas avant, parce qu’on a aggravé les situations.

– Rappelons-nous quelque chose : la Banque de France a été créée en 1801 et jusqu’en 1974 (ça fait quand même du temps, hein)… elle finançait l’Etat sans intérêt. Sans intérêt. Si on était resté là, aujourd’hui, avec tous les emprunts qu’on a fait depuis – puisqu’on emprunte tous les ans – la dette publique française serait de 16 ou 17% du Produit National Brut. Mais en 1974 [en réalité le 3 janvier 1973, NDLR], on a eu une loi stupéfiante qui s’appelle la loi bancaire, qui a interdit à l’Etat de se financer sans intérêt auprès de la Banque de France, et qui a obligé notre Etat… nous faisions comme les Allemands, tout le monde, c’était un peu la mode, c’était une façon de penser… On a obligé les Etats à aller se financer sur le marché financier privé, à 4 ou 5%. Et du coup, notre dette, elle est maintenant à 90-91% du produit national brut. C’est un peu effrayant. La dette s’est moins augmentée du surplus post Lehman brothers que j’évoquais tout à l’heure. Ce qui veut dire tout d’abord que l’humanité a vécu quelques siècles en se finançant à l’œil et sans avoir de crise de la dette souveraine. Ça donne des idées, tout de même…

Quand on sait que la Banque centrale américaine a, depuis ça, pour éviter la récession, fait bien plus que tous les autres en prêtant 1.200 milliards de dollars en plus des 700 milliards de dollars du plan Obama officiel à 0,01% d’intérêt, aux banques en difficulté. Les banques, qui nous avaient mis en difficulté mais qui y étaient elles-mêmes, trouvaient leur argent pour s’en sortir à 600 fois plus [moins] cher le loyer de l’argent que la pauvre Grèce. Et même à 300 fois plus [moins] cher que nous ! Qu’est-ce que c’est que ce jeu imbécile ? C’était donc possible de l’éviter.

– Écoutez bien : il y a dans le monde aujourd’hui une liquidité mondiale créée par les banques – elle a doublé depuis 5 ou 6 ans – qui est à 800 T. Il faut que nos auditeurs apprennent les nouvelles unités monétaires. Quand on va faire de la montagne, il faut apprendre les altitudes, l’unité est le mètre d’altitude, il faut comparer avec le Mont Blanc etc. Partout il faut apprendre les unités, il nous est émergé une nouvelle unité : le T, pour trillion. Un T, c’est 1.000 milliards dollars. Nous avons donc 800.000 milliards de dollars en ballade dans le monde, dont les milliers de transactions quotidiennes concernent de l’exportation ou de l’importation de biens et de services pour 2%. Concernent la vraie économie pour 2%. Et pour 98% joue sur des marchés spéculatifs et ça peut exploser tous les jours parce que la contrepartie de cette monnaie n’est pas en sécurité : c’est un endettement extrême.

Ça peut sauter n’importe où. Ça, c’est le vrai danger. La petite Europe à côté de ça n’est qu’un détonateur. Comme est un détonateur la crise immobilière qui sévit en Chine actuellement. Tout le monde s’en fout, on ne le sait pas. Le monde est interconnecté. Nous sommes dans un désastre mondial. Il y a une crise immobilière en Chine, qui vaut bien celle des Etats-Unis d’il y a 5 ans.

– Venons au fond de l’affaire. La part du salaire direct et indirect dans le produit national brut français n’est plus qu’à 57%. Elle a perdu 10% en une dizaine d’années. Ce qui veut dire qu’il y a 30 à 40 milliards d’euros qui étaient du salaire direct ou indirect – donc du pouvoir d’achat – qui se sont évaporés, qui sont partis vers les marchés financiers, pendant que du côté des salaires, on a fait des précaires et des chômeurs. Ceux-là consomment pas, et on vend plus d’acier à ceux-là parce qu’on vend moins de voitures. C’est ça, la crise.

Eh bien ce qu’il faut c’est qu’il faut, Europe entière, que nous mettions fin à cette situation dans laquelle 30% – 30%, vous entendez ce pourcentage démentiel ? – 30% de la population de tous les pays développés est soit au chômage, soit précaire, soit pauvre. Et tous ceux-là consomment pas. Et on se demande pourquoi il y a plus de croissance.

Source de la transcription : Le blog d’Etienne Chouard

A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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21 commentaires pour Crise : les aveux de Michel Rocard

  1. zorba44 dit :

    800 Trillions, 800 000 milliards de dollars de risques extrêmes, ce n’est pas moins de 110 000 $ par tête d’habitant de quelques centaines de milliardaires à une impressionnante cohorte d’humains qui n’ont pas 10 000 $ de patrimoine. Autant dire qu’on ne pourra JAMAIS éviter la faillite généralisée du monde, dont le processus s’est enclenché en 1973.
    Ceux que mes commentaires agacent parfois, ne peuvent pas réinventer la macromathématique des chiffres et dire que ce n’est pas vrai.

    Jean LENOIR

  2. Le pire est que la plupart de nos hommes politiques savent ce que dit Rocard. Mais encore plus loin, aujourd’hui le PIB mondial est d’environ 65T$, soit moins de 10% de la sphère financière. Il est là le mur : le jour où toute la production de richesse de 7 milliards d’individus ne suffira plus à payer les seuls intérêts du pari que nous avons pris sur l’avenir. Et je partage l’opinion de Rocard : cette fin est proche.

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  4. zorba44 dit :

    Je reviens sur mon précédent post. Rocard commet cependant une lourde erreur quand il prône le développement de la dépense publique dont beaucoup se sont maintenant rendu compte qu’elle est tristement improductive bien souvent quand elle n’est pas inutile.
    On retrouve bien là les restes du technocrate qu’il fût incapable de sortir de la doctrine pour dominer la gestion.

    Dommage enfin que tous ces constats soient toujours a posteriori !…

    Jean LENOIR

    • Ferdinand dit :

      Mr Lenoir, n’est-ce pas là « LA » question de savoir si OUI ou NON l’état et/ou l’Europe doivent ou ne doivent pas bénéficier de la possibilité de fournir de l’argent à 0% d’intérêt. C’est la loi de 1973. C’est le traité de Maastricht (tiens, Giscard est dans les 2 😉 Cordialement.

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  7. Tallan dit :

    Enfin un politique qui reconnait que la DETTE est du VOL…j’espere que ça va créer un précédent.

  8. 30 ans de médiocratie à la tête de la France

    Le cri de colère de Christian Saint-Etienne : 30 ans de médiOcratie à la tête de la France ! Une politique fondée sur le renoncement ! Un contrat social en miettes ! 3 millions d’assistés qui se nourrissent d’aides sociales au lieu de travailler !

  9. Antoine dit :

    La loi de 1973 ou la loi de tous les maux. Je pensais rédiger un article sur celle-ci tellement on nous la présentait comme LA loi qui a tout fait basculer. Je suis donc aller à la bibliothèque municipale de ma ville afin d’aller dans les archives des différents journaux de l’époque. Je commence par Le Monde de Janvier 1973 et là…. rien… absolument rien si ce n’est un petit encadré d’à peine 100 mots. Et dans les autres journaux? Rien non plus. Bref, cette si grande loi qui aurait tout changé, n’a guère passionné les contemporains de l’époque. Et pour cause, c’est que cette loi n’a absolument mais alors absolument rien à voir avec l’indépendance de la Banque Centrale. C’est une simplification des statuts de la Banque Centrale mais rien de plus. D’ailleurs si l’État pouvait se financer à 0% auprès de la Banque Centrale pourquoi Pinay en 1952 et 1958 a fait appel aux particuliers pour des emprunts à un taux d’intérêt de 3,5%?

    • xavib dit :

      L’emprunt Pinay était fait pour rapatrier les capitaux privés des Français fortunés et les recycler dans l’économie, mon cher Antoine.

      Et puis ce genre d’emprunts a toujours une portée symbolique, à savoir montrer que les Français participent au redressement du pays (et du franc à l’époque)… même si ce sont les plus riches qui souscrivent… Tout n’est pas uniquement financier !

      • Antoine dit :

        Oui mon argument PInay était mal placé. En fait habituellement je l’utilisais pour montrer que les emprunts aux particuliers existaient déjà avant 1973. En effet, l’un des arguments de ceux qui voit la loi de 1973 comme diabolique est de dire: Regardez, à peine la réforme mise en place, la France lance un emprunt (le 12 janvier) à 7% d’intérêt (par coupon de 1000 francs).

        Par ailleurs j’ai retrouvé mes notes…
        Le Monde 5 janvier 1973 : La loi sur la Banque de France que publie le Journal Officiel du 4 janvier indique que la Banque de France « est habilitée à donner des avis sur toutes questions relatives à la monnaie » et qu’elle « contribue à la préparation et participe à la mise en œuvre de la politique monétaire ». Ces différentes attributions confirment donc que la Banque de France continuera à disposer d’une certaine autonomie vis à vis du gouvernement et notamment du ministère des Finances.

        Le Monde, 30 avril 1972 : Contrairement au texte préparé il y a un mois, le nouveau projet de réforme des statuts de la Banque de France laissera à celle-ci une assez large autonomie. L’institut d’émission continuerait de jouir de l’autonomie relative qu’il avait conservée en 1936 lors de la réforme opérée par le Front Populaire puis en 1945 au moment des grandes nationalisations. Sauf nouvelles modifications, le projet de loi prévoit que la Banque de France contribue à la préparation et participe à la mise en œuvre de la politique monétaire arrêtée par le gouvernement. (le projet précédent prévoyait seulement que l’Institut d’émission participât à la mise en œuvre de la politique décidée par le gouvernement).
        Par ailleurs, le texte prévoit que la Banque de France est chargée de régulariser les rapports entre le franc et les devises étrangères et de gérer les réserves publiques de change.

        « La réforme qui vous est proposée aujourd’hui ne vise pas et ne prétend pas bouleverser le fonctionnement de la Banque de France », Valéry Giscard d’Estaing, Ministre de l’économie et des finances, décembre 1972.

    • Ferdinand dit :

      Bonne remarque. Qui a la réponse à cette question de l’emprunt Pinay ?

  10. Il faudrait remettre les choses dans leur contexte qui est celui du socialisme européen que le Marché unique devait contribuer à mettre en place après l’échec du Programme Commun en 1982 qui avait son maître d’oeuvre Jacques Delors, ministre des finances de F. Mitterrand, propulsé à Bruxelles comme président de la Commission européenne chargé de la mise en oeuvre de l’Europe fédérale. J. Delors agissait sur les conseils de J. Attali, l’éminence grise omniprésente du Sphynx,qui savait ce qui se tramait outre-Manche et outre-Atlantique avec la libéralisation des marchés financiers qui allait permettre de créer un marché mondial de la dette publique tradée sur les marchés obligataires et le marché des produits dérivés qui allaient connaître un développement fulgurant avec les premiers emprunts F. Mitterrand. La mutualisation de la dette au niveau européen allait devenir l’aubaine du siècle qui permettrait de courtcircuiter l’opposition des marchés (cf. la sanction de la dévaluation suivant l’envolée des déficits provoqués par l’application du programme de relance monétaire contenu dans le Programme commun) à l’endettement public par la transformation des titres de dette publics en moyens de financement pour les banques privés qui allaient ainsi pouvoir financer leurs dérivés OTC comme leurs prêts grâce à la vente de leurs titres de dette garantis par la banque centrale européenne. La garantie a fonctionné superbement même après avoir avoir créé des dizaines de trillions en dérivés de crédit par exemple, avec le refinancement continu des actifs bancaires par la BCE qui sert des titres de dette publique comme collatéral de refinancement. Donc M. Rocard fait preuvre d’un hypocrisie rare en dénonçant la loi de 1973, parce que c’est elle justement (et les suivantes) qui a permis de lever l’encadrement de la dette publique par les marchés et la banque centrale. Au contraire depuis ces lois, les politiques ont pu trouver bourse ouverte auprès des banques en adossant la dette publique à la mondialisation des actifs nationaux (valeurs du CAC40, DAX, etc) qui est la contrepartie réclamée par les banques à la mutualisation de la dette entre Etats laxistes et Etats orthodoxes. Ainsi avec l’ouverture des frontières, les pays fortement exportateurs comme l’Allemagne pouvaient développer leurs marchés, au détriment de pays comme la France par exemple, dans les pays émergents, ce qui permettait de créer une épargne qui pourrait financer à son tour des déficits accrus dans les pays industrialisés. Cette expansion était servie par les banques qui servaient de bras de levier à la mondialisation en offrant les moyens de financement nécessaires à l’investissement. Ainsi des politiques comme Rocard en même temps qu’ils ont nourri le socialisme par la dette européenne ont été les fossoyeurs de la classe ouvrière française.

    • Garcimore dit :

      j’ai rien compris…..et pi c’est qui le SPHYNX ????

      • Vous n’êtes pas le seul à avoir un beug mental. Le sphynx c’était le petit nom de F. Mitterrand. J. Attali était son conseiller spécial dans les affaires financières et économiques avant de devenir président de la BERD.

      • Garcimore dit :

        ah bon je croyais que c’était une organisation sioniste secrète…..

  11. zorba44 dit :

    Ah l’emprunt Pinay, que de souvenirs personnels impossibles à évoquer ici. On s’éloigne de Rocard même si il a pu rencontrer Pinay dans sa jeunesse.

    Jean LENOIR

  12. OK pour le mécanisme décrit mais le "patrimoine", c'st quoi,en la matière? La privatisation va-telle si gnifier la disparition de celui-ci Dans les études comparatives que j'ai pu voir, rien n'indiquait que la gestion publique de l'eau -et même de bc dit :

    Un dessin bien fait serait fort utile pour vous suivre dans ce dédale !! Nous l’enverrez vous ?
    Ne serait-il pas enfin plus qu’urgent -on l’a dit maintes fois !- d’interdire ce trop fameux produits dérivés même si on n’en prends guère le chemin (comme avec la séparation des activités de banque d’affaires du reste..) ?

  13. nikoumok dit :

    1973, et la Loi Rothschild Pompidou…1973, date à laquelle on nous a livré aux sionnistes…, merci Mr Giscard…..

  14. Ping : 24h gold market briefing:revenir à l’étalon-or | actualitserlande

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