Philippe Béchade : Le troupeau des Bisounours/permabulls ne voit pas venir la catastrophe…

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« S’il n’y avait pas eu le séisme au Népal, les médias économiques américains auraient tourné en boucle tout le week-end dernier sur les nouveaux records absolus de clôture inscrits par le S&P 500 et le Nasdaq Composite.

Et encore : le sinistre décompte des milliers morts ensevelis à Katmandou et dans sa région a été en partie éclipsé par le décès de Dan Fredinburg, un ingénieur américain — montagnard chevronné — responsable de programmes de premier plan chez Google… décédé des suites d’une avalanche au pied de l’Everest.

Le télescopage des Unes du week-end ne s’arrête pas à la mise en équivalence de la mort d’un Occidental (et de quelques autres moins « prestigieux ») et de milliers de Népalais anonymes. L’actualité des affaires — qui se confond également avec l’actualité internationale — était largement dominée par le lancement de l’Apple Watch dans une dizaine de grands pays développés.

L’occasion de rappeler que le modèle « boîtier inoxydable » commercialisé en France coûte 649 euros, (environ 700 $)… soit le salaire moyen d’un Népalais en 2015.

Je ne sais pas s’il existe meilleure illustration de l’échelle des inégalités — pas seulement entre l’Occident et l’Asie mais également au sein de l’Asie elle-même, puisque les habitants des grandes métropoles chinoises s’arrachent déjà l’Apple Watch… ou l’une de ses concurrentes moins chères, et parfois plus performantes, produites à Shenzhen.

Vive les riches… et le QE

C’est le creusement des inégalités par le haut de l’échelle sociale qui a inspiré à Thomas Piketty Le capital au XXIème siècle… Un ouvrage controversé mais qui a au moins le mérite d’ouvrir le débat concernant l’enrichissement sans cause des plus riches et des ultra-riches (d’après une enquête du Sunday Times, la fortune des 1 000 étrangers les plus riches installés à Londres a tout simplement doublé depuis 2009 pour atteindre 765 milliards d’euros) [lire ici OD].

Un creusement abyssal, économiquement absurde et contre-productif, par le biais — et avec la complicité active — des banques centrales et de leur politique monétaire. Laquelle consiste à imprimer de la monnaie-dette sans contrepartie future (rien ne sera remboursé), qui va s’investir dans des actifs n’existant qu’à l’état de traces numériques et qui s’inflatent comme les pseudos-bénéfices d’un gigantesque schéma de Ponzi.

Le troupeau des Bisounours/permabulls bêlants nous assure cependant que les actifs immatériels (actions, obligations, ETF…) vont continuer de grimper inexorablement. En effet, la réunion de la Fed qui débute ce mardi devrait constituer l’occasion de rassurer les marchés sur la question des taux, les derniers chiffres macro-économiques plaidant pour un report de tout projet de hausse à fin 2015… et en cas de poursuite du ralentissement actuel, pourquoi pas un QE4 en 2016 ?

Les Bisounours/permabulls bêlants en profitent pour nous ressortir le mythe de la « Grande rotation » des bons du Trésor en faveur des actions. Les compagnies d’assurance ne trouvant plus de rendement sur l’obligataire en Allemagne ni sur deux tiers des OAT françaises en circulation, elles n’ont plus d’autre choix que d’arbitrer en faveur des actions. Ces dernières offrent encore un rendement mirobolant de 2,5%, selon une méthode de calcul hédoniste des profits anticipés en 2016, basé sur des hypothèses de hausse des profits qui postulent une croissance mondiale rugissante.

Qui va acheter ?

Et tout comme il y a deux ans — peu après le coup d’envoi du QE3 aux Etats-Unis — ils ne répondent pas à une question d’importance : si les grands fonds de retraite vendent leurs portefeuilles obligataires par centaines de milliards chaque année… qui leur rachète ce papier qui n’offre et n’offrira plus jamais aucune rémunération (et au plus haut historique, naturellement) ?

Ils font tous la même erreur en répondant : la Fed (comme il y a deux ans) ou la BCE (depuis mi-janvier).

En effet les achats de T-Bonds ou d’Eurobonds permettent juste d’éviter une faillite des Etats et d’un système bancaire gorgé de bons du Trésor émis par des emprunteurs insolvables.

La « Grande rotation » des obligations vers les actions est tout simplement impossible faute d’acheteur… Ou alors il faut que la BCE porte la taille de son QE à 100 milliards d’euros par mois et que la Bundesbank approuve la création de masses d’argent fictif à seule fin de permettre aux fonds de retraite — et surtout aux hedge funds qui prennent des leviers de folie à la hausse — de spéculer en bourse sur des titres ou des paniers de valeur (ETF) dont la valorisation bat déjà des records historiques.

Les Bisounours/permabulls bêlent si fort qu’ils n’entendent pas Alan Greenspan déclarer qu’ »un événement de marché significatif, voir un bouleversement majeur… est sur le point de se produire, et que l’or est maintenant un bon investissement par opposition au dollar ».

Janet Yellen lui donne entièrement raison : « l’argent n’est pas un moyen efficace de stockage de la valeur ».

La catastrophe menace

Les Bisounours entendent encore moins Christine Lagarde avertir que « le shadow banking représente un risque de catastrophe pouvant influencer l’environnement économique ». Quant à Jamie Dimon, de JP Morgan, il redoute désormais une crise plus sévère que 2007/2008, de type « hyper-systémique ».

Ils n’accordent aucune attention aux propos de la Banque mondiale qui évoque « l’imminence d’une prochaine crise du fait des risques d’instabilité portés par les marchés ». Bill Gross, de PIMCO, évoque le « short du siècle » s’agissant du Bund allemand — pourtant l’actif le plus solide en terme de notation et de solvabilité de l’emprunteur.

Ils ne voient pas de quoi la BRI se mêle en avertissant régulièrement la communauté financière des risques de renversement brutal de la tendance sur les marchés mondiaux (elle est la seule à connaître l’ampleur exacte des encours de dérivés qui tournent au-dessus de nos têtes et qui tendent vers le million de milliards de dollars… ce qui signifie qu’il n’existe aucune contrepartie pour des montants de cet ordre).

Cette notion de contrepartie est fondamentale

Cette notion de contrepartie est fondamentale : l’optimisme des Bisounours/permabulls bêlants repose sur la conviction que l’Europe peut s’appuyer sur un gigantesque réservoir d’épargne « qui dort ».

Il est temps de la réveiller et de la basculer vers le compartiment actions… mais tout cet argent qui dort est bel et bien investi dans les dettes des Etats : en cas d’arbitrage, quel mécanisme miraculeux empêchera la bulle obligataire d’exploser ?

Mais si bien sûr : la mécanique céleste qui vole déjà à notre secours… vous savez bien, le fameux « alignement des planètes » (yen faible, taux zéro, matières premières importées à prix plancher) qui a si bien réussi à doper la croissance et éradiquer la déflation au Japon depuis 18 mois ! »

Philippe Béchade, La Chronique Agora, le 28 avril 2015

Rappels :

Ph. Béchade : « Les banques centrales inventent 200 milliards de dollars par mois »

Nous sommes dans une situation pire encore qu’en 2008

Prendre en compte les faits, pas les scénarios irréels… THE BUBBLE COLLAPSE affectant les actions, dont la date est certes imprévisible, est tôt ou tard inévitable (P. Leconte)

Voir aussi :

Olivier Delamarche, 27/04/2015 : « Les marchés sont en train de planer »

A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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5 commentaires pour Philippe Béchade : Le troupeau des Bisounours/permabulls ne voit pas venir la catastrophe…

  1. luna dit :

    Exclusive: Wary of natural disaster, NY Fed bulks up in Chicago
    http://www.reuters.com/article/2015/04/14/us-usa-fed-disaster-idUSKBN0N528G20150414

  2. bus2 dit :

    Il y a une convergence des signes de catastrophes qui est quand même assez fabuleuse….historique . Ce serait pas ça le fameux alignement des planètes ?

  3. L’article commence par dire que le nombre d’ultra-riches a doublé ou trouble pour terminer en disant que l’argent n’est une bonne réserve de la valeur, ce qui dans le bouche d’un Greenspan ou d’une yellen relève de la plus colossale des hypocrisies, eux qui ont bâti toute leur carrière justement sur la théorie contraire. Car ce n’est pas tellement l’argent qui est la réserve de la valeur, mais plutôt l’argent capable de créer de l’argent par l’investissement et la circulation des capitaux. essence de la libéralisation du mouvement des capitaux. D’où ces fameux millions de milliards de produits dérivés dont les contreparties ne sont pas inexistantes mais seulement réduites à quelques acteurs financiers au bilan extraordinairement fragiles eu égard aux risques encourus, même si leur note financière AAA leur donne droit à l’accès gratuit aux liquidités banques centrales. Actuellement la BCE joue le rôle de prêteur de dernier ressort pour l’ensemble des Etats en faillite de la zone euro depuis le fameux QE qu’il faudrait porter à 100 milliards par mois de rachat d’obligations, histoire de réduire au passage l’endettement public tout en encourageant les déficits budgétaires. Qu’à cela ne tienne la BCE sert au passage de contrepartie pour les dérivés financés par les obligations souveraines transformables en cash pour financer l’émission de produits dérivés. A ce niveau-là, la planche à billets atteint des records inégalés dans l’histoire financière mais sans provoquer d’inflation. Ce petit jeu peut durer encore longtemps, enfin tant les investisseurs font encore confiance au dollar. Le jour où les argentiers auront décidé qu’il est temps de basculer au yuan, les choses changeront radicalement pour les acteurs financiers occidentaux qui liquideront leurs dettes stratosphériques en dollars pour se refinancer en yuan qui prend le même chemin que le dollar dans les années soixante-dix. Au passage la Chine aura fait son marché dans les actifs européens rachetés à prix bradés, sans que les salariés aient leur mot à dire. Tout cela nous laisse augurer une gouvernance chinoise moyennement appréciée par les Africains. Mais la direction des affaires mondiales deviendra multipolaire. Alors tous les espoirs de renouveau sont permis pour les pays occidentaux solidement arrimés aux groupes chinois.

  4. Depuis des années la politique des banques centrales est celle des taux zéro mais c’est une erreur et ça ne relancera pas l’économie au contraire car c’est toute l’échelle des rendements qui tend vers zéro y compris celle du travail qui reste le vrai moteur de l’économie, seuls des pays comme la chine peuvent tirer leur épingle du jeux avec une main d’œuvre à bas coût. Le seul effet positif de cette politique si on peu dire c’est l’augmentation de la valorisation des actifs mais le problème c’est qu’à terme il y a décorrélation avec le monde du travail c’est à dire le monde réel… et là c’est la bulle.

    • zorba44 dit :

      Les actifs montent, le nombre des inactifs monte : vous avez raison il y a plus que quelque chose qui cloche dans cette économie des cours administrés et dans les statistiques du chômage et de l’activité également administrés.

      Le jour où ça va partir en c……ade le feu d’artifice sera grandiose et après le bouquet final il ne restera rien. Plus fort qu’au championnat du monde de feux d’artifices de San Sébastien, tous les pays seront champions ! …tous !

      Jean LENOIR

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