Commerce international : une querelle dérisoire

« Donald Trump a bousculé l’échiquier mondial au nom de son slogan « America First ». Il l’applique en priorité à l’économie en vue de faire revenir aux Etats-Unis des emplois partis à l’étranger. C’est une mauvaise querelle qui repose sur une mécompréhension des faits. Ceci dit, avant d’entamer notre propos, reconnaissons qu’il a raison au sujet de l’Allemagne. Sa politique est mercantile depuis la fin du 19ème siècle. Elle se conduit en passager clandestin en termes de défense ce qui bien sûr favorise son commerce extérieur. Avec l’euro, elle bénéficie d’un Deutschemark mark dévalué d’environ 10%. Sa politique mercantile est en infraction des règles du Fonds monétaire international, de l’Organisation Mondiale du Commerce et de l’Union européenne. Elle a été condamnée par l’OCDE et le Trésor américain sans résultat. Voilà pourquoi Angela Merkel est si prudente dans sa réaction aux propos de Donald Trump.

Venons-en au débat proprement dit. En tant que gardien d’un système monétaire international qu’ils ont eux-mêmes élaboré à Bretton Woods (New Hampshire), en août 1944, les Américains étaient supposés s’astreindre à une politique économique prudente de manière à préserver la valeur du dollar, pilier du système. La coûteuse guerre du Vietnam les amena à faire abstraction de leurs obligations internationales pour privilégier la politique intérieure. Ainsi, en août 1971, Richard Nixon choisit-il la relance par la consommation pour assurer sa réélection, sans se soucier de son impact sur le système monétaire international. Le déficit de la balance commerciale américaine que Donald Trump veut redresser pour rapatrier des emplois, a de nombreuses causes. La première est l’excès de consommation qu’autorise ce système dévoyé par la décision de Richard Nixon, et non les importations d’acier ou d’aluminium. Donald Trump le sait-il ?

Le solde commercial d’une nation est égal à la somme de son solde budgétaire et de son épargne moins ses investissements. Cette relation a relativement bien fonctionné pour les Etats-Unis jusqu’au début des années 1980 quand Ronald Reagan lança la course aux armements avec la Guerre des étoiles. La dette américaine bondit, passant de 32% du produit intérieur brut en 1980 à 65% en 1995, donnant après coup raison à Jacques Rueff qui avait parlé de « déficits sans pleurs », en référence à cette possibilité que le système monétaire international, dit de Bretton Woods, accorde à la nation qui en est la gardienne, les Etats-Unis, de s’endetter sans limite. Valérie Giscard d’Estaing parlera plus tard du « privilège exorbitant du dollar ». Inutile de préciser que les autres nations ne bénéficient pas d’une telle latitude. Si leur balance commerciale se détériore, leur monnaie se déprécie et ils doivent prendre des mesures d’austérité pour contrer la dégradation de leur économie.

De gardien, les Etats-Unis sont devenus les bénéficiaires, certains diraient les profiteurs, d’un système destiné à l’origine à écouler leurs surplus agricoles et industriels après la Seconde Guerre mondiale, tout en aidant les économies européennes à se relever. Alors que la raison demande qu’on amende le système, un évènement imprévu lui donna une nouvelle jeunesse. La crise asiatique de 1998 fit souffler un vent de panique sur des nations totalement impréparées. Craignant une nouvelle crise, leurs dirigeants accrurent leurs réserves en dollar, redonnant vigueur à un système moribond. Les économistes qualifièrent ce regain de vie de Bretton Woods II. Le dollar demeurait le pivot du système.

Suite aux attaques du 11 septembre, le budget américain de la défense doubla en dix ans, accroissant le déficit budgétaire ce qui, avec la crise de 2008, provoqua un recours accru à l’endettement qui passa de 55% en 2001 à 95% en 2011. A cet instant de leur histoire, les Etats-Unis entrèrent dans un nouvel environnement économique où la relation entre budget, commerce extérieur, épargne et investissement n’a plus cours. Ce monde éthéré dans lequel les lois de l’économie sont inopérantes, est un monde éphémère dont il faudra sortir un jour.

C’est le défi auquel Donald Trump est confronté. Les tarifs douaniers n’y changeront rien, ni les coups de menton à l’adresse des Chinois. C’est le système qu’il faut réformer. En tant que premier bénéficiaire, il est évident que les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à se lancer dans une refonte du système. A supposer qu’ils s’y risquent, la Chine et l’Allemagne, autres grands bénéficiaires du système, freineront des quatre fers… »

Jean-Luc Baslé, IVERIS, le 12 juin 2018

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A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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7 commentaires pour Commerce international : une querelle dérisoire

  1. Danielle Bock dit :

    J.-L. Baslé est très fort : il écrit dans le futur : 22 juin 2018 !!! Article intéressant qui résume bien la situation.

  2. zorba44 dit :

    Le signataire se souvient d’une récente invective de Trump (parmi toutes) où il éructe qu’il n’acceptera pas que les USA soient considérés comme la tirelire du monde (the piggy box of the world)…

    Fallait quand même oser le faire !

    Jean LENOIR

    • Trend dit :

      Balance commerciale déficitaire des USA avec le reste du monde ( principalement la Chine( environs 400 milliards et l’Europe 275 milliards). Ou est le mal de la part du président américain quel qu’il soit donner du boulot au américains ? Que font les européens avec une balance commerciale déficitaire d’environs 400 MILLIARDS de dollars avec la plus grande dictature du monde , la Chine ?
      900 emplois perdu par semaine en France et on ose prendre la défense indirectement d’un système mis en place qui enrichi la pire dictature de la planète, la Chine.
      Celà relève de la psychiatrie !

  3. viggo1 dit :

    Trump a l’intention de simplement protéger la sidérurgie des Etats Unis. Mais là où il risque encore d’accentuer c’est avec la Chine. La balance commerciale U.S.A. / Chine est trop en faveur de la Chine i.e. les U.S.A. importe trop de marchandises souvent de mauvaise qualité et surtout bon marché chinoises. En frappant avec des droits de douanes les milliers de sociétés qui ont délocalisées risquent de commencer à réfléchir. 🙂 Comme il disait: I want the jobs back. 🙂
    Ah oui lors de l’accord de Bretton Woods il y avait encore l’étalon d’or que sur conseil de N. Friedmann fut soudainement abandonner.

    Amicalement

  4. Trend dit :

    Concernant l’Allemagne,

    L’Europe c’est quoi ?
    Fin XIXème siècle L’Allemagne était composée de mini monarchies avec chacun sa propre monnaie. Guillaume 1er réuni le tout en lander sous la république du Weimar avec une seule monnaire commune , le deutschmark !!!
    Celà ne vous rappelle rien ?
    La création de l’Europe avec l’euro !!!

    Restons pragmatique, Qu’est ce que celà aurait donné si l’Europe s’était inspiré de la France ?
    Je n’ose pas y penser…….

    • zorba44 dit :

      Restons, s’il vous plaît, aux fondamentaux structurels et sociaux de la Société française, si ces mots de Société française ont encore un sens, ou, à vos yeux ne sont que maux originels.

      Toute la diabolique de l’euro est là !

      Jean LENOIR

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