L’impuissance volontaire des gouvernements russe et chinois (Paul Craig Roberts)

L’opposition Est-Ouest, un jeu de rôle ? Très bonne question. OD

« Les gouvernements russe et chinois sont déconcertants. Avec toutes les cartes de la guerre de sanction en main, ils restent là sans la moindre idée quant à la façon de les jouer.

Les Russes ne recevront aucune aide des médias occidentaux, ce qui obscurcit le problème en faisant ressortir que le gouvernement russe ne veut pas priver ses citoyens de biens de consommation occidentaux, ce pourquoi sont précisément faites les sanctions de Washington.

Les gouvernements russe et chinois sont entre les mains de Washington parce que, pensant que le capitalisme a gagné, la Russie et la Chine ont rapidement adopté l’économie néolibérale étasunienne, qui est un stratagème de propagande au service des seuls intérêts étasuniens.

Depuis des années, la NASA est incapable de se passer des moteurs de fusées russes. Malgré toutes les sanctions, les insultes et les provocations militaires, le gouvernement russe livre toujours des moteurs à la NASA. Pourquoi ? Parce que les économistes russes disent au gouvernement que les monnaies étrangères sont essentielles au développement de la Russie.

L’Europe dépend de l’énergie russe pour faire tourner ses usines et pour rester au chaud en hiver. Mais la Russie ne coupe pas l’énergie en réponse à la participation de l’Europe aux sanctions de Washington, car les économistes russes disent au gouvernement que les monnaies étrangères sont essentielles au développement de la Russie.

Comme Michael Hudson et moi l’avons expliqué à plusieurs reprises, c’est une ineptie. Le développement de la Russie ne dépend nullement de l’acquisition de monnaies étrangères.

Les Russes sont aussi convaincus de la nécessité d’avoir des investissements étrangers. Cela ne sert qu’à drainer les profits de leur économie.

Convaincus aussi de devoir laisser échanger librement leur monnaie, les Russes mettent ainsi le rouble à la merci des manipulations sur les marchés des changes. Si Washington veut déclencher une crise monétaire en Russie, tout ce que doivent faire la Réserve fédérale et ses banques centrales vassales, japonaise, européenne et britannique, c’est de faire se déprécier [to short = court-circuiter ?] le rouble. Les fonds spéculatifs et les spéculateurs participent aux bénéfices.

L’économie néolibérale est un canular, et les Russes se sont laissés avoir.

De même les Chinois.

Supposez qu’au moment où toutes ces accusations contre la Russie ont commencé – prenez par exemple la douteuse attaque contre les Skripal –, Poutine se soit rebiffé et ait déclaré : « Le gouvernement britannique est en train de mentir et tous les gouvernements, y compris celui de Washington, font écho à ce mensonge. La Russie considère que ce mensonge est très provocateur et qu’il fait partie d’une campagne de propagande visant à préparer les Occidentaux à quelque attaque militaire contre la Russie. Le flux constant de mensonges gratuits et de manœuvres militaires à nos frontières a convaincu la Russie que l’Occident a l’intention de faire la guerre. Il en résultera la destruction totale des États-Unis et de ses États marionnettes. »

Cela aurait mis fin aux provocations gratuites, aux manœuvres militaires et aux sanctions.

Au lieu de cela, nous entendons parler de « malentendus » avec nos « partenaires étasuniens ». Ainsi sont encouragés de nouveaux mensonges et d’autres provocations.

Ou, pour répondre plus modérément, Poutine aurait pu annoncer : « Comme Washington et ses serviles marionnettes européennes nous ont sanctionnés, nous coupons les moteurs de fusée à la NASA, toute l’énergie à l’Europe, le titane [*] aux compagnies aériennes étasuniennes, nous interdisons le survol d’avions cargo et de passagers étasuniens, et nous mettons en place des mesures punitives contre toutes les entreprises étasuniennes présentes en Russie. » [* NdT : Les Russes maîtrisant seuls la métallurgie du titane, ils fabriquent des pièces d’avions spéciales en titane pour la compagnie Boeing. Devant toutes ces incohérences, la logique impose de se demander si l’opposition entre Russie et États-Unis n’est pas un jeu de rôle.]

L’une des raisons pour laquelle la Russie ne fait pas cela, en plus de la croyance erronée en son besoin d’argent et de bonne volonté des Occidentaux, c’est peut-être que la Russie s’imagine à tort que Washington va lui voler son marché de l’énergie en Europe et y expédier son gaz naturel [liquéfié]. Aucune infrastructure de ce type n’existant, il faudrait plusieurs années pour les développer. D’ici là, l’Europe connaîtrait du chômage de masse et gèlerait pendant plusieurs hivers.

Et la Chine ? La Chine héberge un grand nombre de grandes compagnies étasuniennes, dont Apple, la plus grande société capitalisée du monde. La Chine pourrait tout simplement nationaliser sans compensation toutes les multinationales opérant en Chine, comme cela se fait en Afrique du Sud avec les fermiers blancs, sans que l’Occident ne proteste. Les multinationales submergeraient Washington de demandes de levée de toutes les sanctions contre la Chine et asserviraient complètement Washington au gouvernement chinois.

Ou, en plus, la Chine pourrait se débarrasser de la totalité de ses 1200 milliards de dollars en bons du Trésor étasunien. La Réserve fédérale imprimerait rapidement de l’argent pour les racheter afin que leur prix ne s’effondre pas. La Chine pourrait alors se débarrasser des dollars que la Fed a imprimés pour lui racheter les obligations. La Fed ne peut pas imprimer des monnaies étrangères pour racheter les dollars. Le dollar s’effondrerait et ne vaudrait pas un bolivar vénézuélien, sauf si Washington pouvait ordonner à ses banques centrales étrangères, japonaise, britannique et européenne, d’imprimer de l’argent dans leurs propres devises pour racheter les dollars. Cela, même si c’était respecté, engendrerait beaucoup de tension dans ce qui est appelé « l’alliance occidentale », qui est en réalité l’empire de Washington.

Pourquoi les Russes et les Chinois n’abattent-ils pas leurs cartes gagnantes ? Parce que ni l’un ni l’autre gouvernement n’ont de conseillers non endoctrinés par le néolibéralisme. Ce lavage de cerveau, mis en œuvre par les Étasuniens pendant les années Eltsine en Russie, y a été institutionnalisé. Piégée par ce conditionnement, la Russie est une cible facile pour Washington.

La Turquie est une opportunité parfaite pour la Russie et la Chine de faire un grand bond en avant en la sortant de l’OTAN. Les deux pays pourraient proposer à la Turquie d’adhérer aux BRICS, aux accords commerciaux et aux traités de sécurité communs. La Chine pourrait facilement racheter la monnaie turque sur les marchés des changes. La même chose pourrait être faite pour l’Iran. Mais ni la Russie ni la Chine ne semblent capables d’actions décisives. Les deux pays, tous deux attaqués comme l’est la Turquie par Washington, restent là à sucer leur pouce ».

Paul Craig Roberts, le 12 août 2018

The Self-Imposed Impotence of the Russian and Chinese Governments

Traduction Petrus Lombard

(via AlterInfo)

Rappel :

Brandon Smith : Les élites ne veulent pas la guerre nucléaire mais une nouvelle monnaie de réserve mondiale

A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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11 commentaires pour L’impuissance volontaire des gouvernements russe et chinois (Paul Craig Roberts)

  1. matbee dit :

    Il apparaît très visiblement que la rivalité entre blocs n’est que sur les moyens, la finalité étant la même au sein des élites de la finance mondialiste. Ainsi, l’un des grands amis de Poutine n’est-il pas le criminel de guerre Henry Kissinger en personne ?
    Seul le partage du gâteau intitulé N.O.M. prête encore à disputes et manoeuvres en tous genres…

  2. zorba44 dit :

    Déconcertant, à rebrousse-poil de toutes les idées qu’on se fait de la Russie et de la Chine…

    Et si ces deux pays jouaient tout simplement à laisser pourrir la situation en attendant que l’Occident tombe comme un fruit mûr ?…

    Jean LENOIR

  3. nicolas jaisson dit :

    L’opposition Est-Ouest, un jeu de rôle ?

    Vous commencez enfin à piger.

  4. rodez21 dit :

     »Les deux pays, tous deux attaqués comme l’est la Turquie par Washington, restent là à sucer leur pouce »

    Ce serait confondre inaction et pragmatisme.
    La Chine et la Russie pratiquent la politique des petits pas, leur but étant d’enlever aux US leur leadership, tout en restant dans un système libéral.

    Quand à la Turquie, elle a le choix entre se rendre à Canossa (comprenez Washington), Erdogan ayant déjà fait l’objet d’une tentative de coup d’état, ou bien quitter l’OTAN pour intégrer l’Union Eurasiatique, (Poutine n’attend que ça).

  5. Eugenio Sarto dit :

    Pour qualifier ce texte, j’hésite entre l’imbécillité et l’intoxication marxiste (dont fait partie le libéralisme, hérésie dénoncée par l’Eglise avant qu’elle ne soit éclipsée). Mais, vu qui est l’auteur, on peut sans trop de risques penser que c’est les deux à la fois. L’idiot utile parfait.
    E. S.

  6. Le Précurseur dit :

    Il est clair que le jeu de Paul Craig est de minimiser l’importance de la Russie face aux USA et de faire croire à l’impuissance politique, économique et militaire de ce pays alors que c’est exactement le contraire et je suis bien convaincu contrairement à ses affirmations que l’avenir proche lui démontrera bien la fausseté de son analyse…

  7. Anderson B2 dit :

    Très bon texte étayé par des faits précis et probants, merci ! Je comprends mieux la passivité surprenante des puissances eurasiatiques face à Trump et Bibi Netanyahou…

  8. Trend dit :

    La Chine se débarasser de ses bons du trésor US ? La chute du dollar serait vertigineuse avec une flambée du Rimimbi et à court terme c’est pas très bons pour les exportations chinoises tout ça…. Déjà qu’ils rament avec l’augmentation des barrières douanières !
    Nationaliser Apple ? Et après les vendre à qui les Iphones ? C’est encore le client l’actionnaire 100 % majoritaire dans une société et non les actionnaires comme le croient les pigeons…
    La Turquie bon exemple ? Avec la pelle qu’ils ramassent, ça se passe de commentaires ?
    On pourrait continuer ainsi des heures mais l’auteur de cet article ne devrrait pas s’emballer ainsi contre les USA, rester cool et qu’il n’oublie pas qu’il s’exprime avec le vecteur informatique le plus démocratique au monde , inventé par qui ? USA….Qui est ? Internet…..
    Imaginez internet aux mains des russes, chinois ,Nord Coréens, Iraniens…..
    Ce site existerait-il ?

  9. Jean-Loup Izambert dit :

    Amusant. Les occidentaux raisonnent souvent à court terme et en fonction de leurs seuls intérêts immédiats. Voila qui donne toute sa saveur à la petite phrase de Georgi Arbatov, conseiller politique de plusieurs dirigeants du Parti communiste d’Union soviétique, alors qu’il rencontre en 1987 des dirigeants de l’administration étasunienne: « Nous allons vous rendre le pire des services: nous allons vous priver d’ennemi! »… Depuis le continent européen a retrouvé son unité géographique – un premier pas important – et les Etats-Unis sont devenus complètement insolvables – un second pas tout aussi important. « Un pas en avant, deux pas en arrière » disait Lénine.

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