Grèce : Un crime se commet sous nos yeux (Jacques Sapir)

« L’agence de statistique de la Grèce vient de publier ses dernières données (Grèce PIB trimestriel), et elles s’inscrivent en faux par rapport aux « observateurs » qui croyaient en une amélioration de la situation dans ce malheureux pays. En fait, l’économie continue de s’effondrer et ce sur une pente désormais rapide. En valeur constante le Produit Intérieur Brut est passé de 211 milliards d’euros à 171 milliards, soit une chute cumulée de 19% depuis le premier trimestre de 2009. C’est bien à un véritable désastre que nous assistons.

Sources : HELLSTAT

La rapidité de cet effondrement est due à plusieurs facteurs. Il y a en premier lieu les politiques d’austérité qui sont imposées à la Grèce par l’Union Européenne via la Troïka, soit le FMI, la BCE et l’UE. De ce point de vue, le gouvernement français, qui a accepté de s’aligner sur les diktats de ladite Troïka, porte une responsabilité incontestable dans l’évolution catastrophique de la situation économique grecque. En second lieu, la contraction du crédit et le développement de l’économie de troc qui en découle aboutissent à une accélération du processus d’effondrement. Des pans entiers de l’économie grecque sont à l’arrêt non parce qu’ils n’ont pas de clients (en particulier à l’export) mais parce qu’ils ne peuvent plus financer le cycle de production. Dans le même temps, d’autres secteurs sortent ainsi de l’économie officielle du fait du développement du troc. En fait, on peut considérer qu’un tiers de la population ne survit que par le troc ou des systèmes de paiements locaux. Cela signifie qu’une partie de la Grèce est – dans les faits – sortie de la zone Euro. Ce phénomène semble être en train de s’accélérer. Il devrait provoquer à relativement court terme un effondrement des ressources fiscales, qui sont bien entendu payées en euros. La sortie de jure de la zone Euro viendra couronner ce processus de facto, que cela plaise ou non à M. Samaras, le Premier Ministre grec qui est de fait connivent à l’étranglement de son pays, ou non.

La consommation s’est contractée de manière très forte, ce que révèle un document du service statistique grec (Grèce commerce de détail). C’est là que l’on mesure la réalité de la catastrophe sociale qui se déroule dans ce pays. Par rapport au niveau de 2005, le niveau des ventes de détail a baissé de 24%, et de 15% pour la production alimentaire. Si l’on peut espérer que cette baisse est en partie compensée par le développement des réseaux de troc pour l’alimentation et la consommation courante, il ne peut en être ainsi pour certaines consommations, comme celles des services publics (éducation, santé).

Sources : HELLSTAT

Au-delà de la catastrophe économique et sociale, c’est donc à une catastrophe humaine que nous assistons. Un crime se commet sous nos yeux. Un crime que nos gouvernants avaient – et ont toujours – les moyens d’éviter. Mais ils se refusent à l’idée d’un défaut, pourtant inévitable, de la Grèce, et ne cessent d’exiger toujours plus de sacrifices à une population qui est aujourd’hui à bout de forces.

Gageons que Monsieur le Président de la République, digne représentant du socialisme compassionnel, aura une larme pour les pauvres grecs. Une larme, mais pas plus… »

Jacques Sapir, RussEurope, le 14 novembre 2012

A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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10 commentaires pour Grèce : Un crime se commet sous nos yeux (Jacques Sapir)

  1. brunoarf dit :

    La Grèce de nouveau sous pression de l’Europe.

    Autre sujet d’inquiétude, la dette qui devrait s’envoler l’an prochain à 189,1% du PIB, soit 346,2 milliards d’euros, contre 175,6% attendu en 2012.

    http://www.boursorama.com/actualites/la-grece-de-nouveau-sous-pression-de-l-europe-79837ab43be348b862e91518f5d1673b

    En 2013, la dette publique de la Grèce sera de 346,2 milliards d’euros.

    Sur ces 346,2 milliards, les Etats européens et la BCE ont prêté 242 milliards d’euros à la Grèce.

    Problème : la Grèce est insolvable. Les Etats européens et la BCE vont devoir subir ces pertes.

    – Quel est l’homme politique courageux qui va annoncer aux contribuables européens qu’ils vont payer 242 milliards d’euros ?

    – Quelle est la femme politique courageuse qui va annoncer aux contribuables européens qu’ils vont payer 242 milliards d’euros ?

    – Concernant la France, combien de dizaines de milliards d’euros les contribuables français vont-ils devoir payer pour le deuxième défaut de paiement de la Grèce ?

  2. Jean LENOIR dit :

    Olivier,

    Et, bien entendu, les coupables devront payer pour ce crime contre l’humanité, car cela en est un. Silencieusement, par vague de suicides et de violences, c’est à des scores dignes du régime de Pol Pot auxquels on pourrait arriver si la situation se prolonge – les exclus ou ruinés du système n’ayant plus, comme ultime porte de sortie, que cette solution.
    La peau des grecs vaut beaucoup plus cher, aux yeux de l’opinion, que la ferrari des banquiers ou les avantages exorbitants des hommes politiques auxquels il convient de faire rendre gorge : question de survie.

    Jean LENOIR

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  4. matbee dit :

    Et dire que le même crime est au programme pour tous les pays d’Europe…

  5. brunoarf dit :

    Luc Coene est le gouverneur de la Banque Centrale belge. Il est membre du conseil des gouverneurs de la BCE.

    Jeudi 15 novembre 2012 :

    Luc Coene estime qu’une partie de l’ardoise grecque doit être effacée.

    Le gouverneur de la Banque Nationale Luc Coene s’attend à ce que les différents bailleurs de fonds renoncent à une partie de l’imposante dette publique grecque, rapporte le quotidien De Standaard jeudi.

    Luc Coene s’est ainsi exprimé lors d’un échange à l’Université de Gand. Il se place ainsi sur la même ligne que celle adoptée par le Fonds Monétaire International, qui craint que la Grèce ne puisse pas réussir à ramener sa dette sous les 120% de son PIB pour 2020 sans un abandon partiel des prêts d’urgence consentis à son égard.

    L’année passée, des banques privées avaient déjà marqué leur accord pour un abandon partiel de leurs créances. Les autorités publiques doivent maintenant suivre, estime le FMI. Berlin s’oppose cependant à cette solution.

    http://www.7sur7.be/7s7/fr/1536/Economie/article/detail/1534377/2012/11/15/Luc-Coene-estime-qu-une-partie-de-l-ardoise-grecque-doit-etre-effacee.dhtml

    En 2013, la dette publique de la Grèce sera de 346,2 milliards d’euros.

    Sur ces 346,2 milliards, les Etats européens et la BCE ont prêté 242 milliards d’euros à la Grèce.

    Problème : la Grèce est insolvable. Les Etats européens et la BCE vont devoir subir ces pertes.

    – Quel est l’homme politique courageux qui va annoncer aux contribuables européens qu’ils vont payer 242 milliards d’euros ?

    – Quelle est la femme politique courageuse qui va annoncer aux contribuables européens qu’ils vont payer 242 milliards d’euros ?

    – Concernant la France, combien de dizaines de milliards d’euros les contribuables français vont-ils devoir payer pour le deuxième défaut de paiement de la Grèce ?

  6. Jean LENOIR dit :

    @Jules,

    Et on voudrait que je rentre en France. Trop bossé des heures d’internes en médecine alors que j’étais fin cinquantaine, puis mi soixantaire,trop pris de risques pour me faire plumer maintenant. Ceux qui se trouvent en France se chargeront du « travail », et ainsi de suite pays par pays.

    Bon week-end

    Jean LENOIR

  7. Opps59 dit :

    Crime , crime … toujours les grands mots !
    Car si on regarde plus en arrière encore , le crime c’est aussi d’avoir fait rentrer la Grèce dans l’Europe , et c’est aussi d’avoir fermé les yeux sur les dérives les plus diverses en Grèce comme ailleurs , et c’est enfin de nous avoir tous laissé glisser -pour quelques miettes- sur la pente de l’argent facile , que ce soit celui de la richesse qui enfle discrètement dans les paradis fiscaux ou celui de droits -légitimes ou non- basés sur l’endettement !

    Mais tout à fait d’accord , ne pas laisser la Grèce faire un vrai défaut est effectivement criminel.

    Ceci dit dit les Grecs – en système démocratique- peuvent très bien décider de sortir , non ?

    Ps/ Provoquant probablement pas mal de petits crimes (à présent que le temps a passé) , partout ailleurs en Europe. On continuera de payer pour elle , sous d’autres formes ! 😉

  8. Momo dit :

    Oui, « opps59 » (pourquoi, du reste, ces absurdes et peu courageux pseudos ? Hein ?), le vrai crime est bien la vie à crédit depuis des décennies au détriment de ceux qui, ne dépensant pas plus que leurs revenus ou épargnant et prêtant aux autres (Etats en premier lieu !) vont être dépouillés, les cigales croquant les fourmis…
    A part çà, on voit assez mal en quoi la sortie de la Grèce -et, demain, celles des autres Pays « Club Med », France comprise,- serait un remède efficace pour l’Euro puisque, déjà, la Grèce, a brûlé les dizaines de milliards d’aides et continuera, sa faillite étant acquise depuis des années.
    Expliquez nous, sérieusement, quelles seraient les conséquences chiffrées si on coupait tout crédit à ce Pays.
    Merci !
    P.S.: « autrefois » on aurait envoyé quelques canonnnières et pris le contrôle du Pays en administration « coloniale », mais maintenant ? La mise sous tutelle du FMI? de la BCE ?

  9. Jean LENOIR dit :

    @ Momo

    Je m’appelle Jean LENOIR. Je crois avoir assez vécu pour m’exposer à la lumière. Et puis, si comme Cicéron, Popilius vient m’égorger, ce ne sera pas grave et ça m’évitera de devenir gâteux.
    A quand un blog où tout le monde s’identifie par son nom ?

    Cordialement

    Jean LENOIR

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