Suède : un coup d’Etat en toute tranquillité !

coup-d-etat-en-suede-contrepoints.jpgUn article de Pascal Titeux (Contrepoints) décrit « le putsch tranquille de l’establishment suédois » – dont les peuples européens dans leur ensemble feraient bien de tirer les leçons s’ils ne veulent pas se voir imposer la même chose. On le sait : Les démocraties en Occident ne sont déjà plus, à de rares exceptions près, que des coquilles presque vides. Pourtant, la menace d’une confiscation totale se rapproche de plus en plus… au nom de la démocratie et de l’union sacrée contre le « populisme », naturellement ! OD

« La nouvelle n’a pas fait la « une » des médias, et c’est pourtant un des événements les plus inquiétants de ce début de siècle. Le dernier masque de la démocratie représentative, dans sa version postmoderne et corrompue, vient en effet de tomber.

Cela ne surprendra pas les libéraux, qui savent à quel point l’étatisme électif peut se rapprocher à pas de loup des « vraies » dictatures, et de quoi il est capable lorsqu’il se sent menacé de perdre ses prébendes. On le voit déjà montrer les crocs, à grand renfort d’HADOPI, LPM et autres mesures « anti-terroristes ». Mais en Suède il vient de mordre pour de bon, et saigner peut-être à mort une démocratie déjà bien abîmée par le très politiquement correct « modèle suédois ».

Les faits sont simples dans leur crudité cynique. Les dernières élections ont vu surgir un parti disons atypique, le mot « populiste » étant, en Suède comme ailleurs, un mot dépourvu de sens (tous les partis courtisent le peuple !). Avec ses 12%, le SD ne pouvait qu’être un parti d’opposition, mais lorsqu’un autre s’est joint à lui pour rejeter le budget, le gouvernement a été mis en minorité, et son budget invalidé : situation classique de « crise gouvernementale ». Dans toute démocratie, cela entraîne la démission du gouvernement, et chez nous ce serait un des cas où la dissolution s’imposerait. C’est si évident que dans un premier temps, le chef du gouvernement suédois, Stefan Löfven, a décidé, et annoncé pour le 22 mars 2015, la tenue de nouvelles élections.

Jusqu’ici tout va bien, me direz-vous, le peuple va trancher.

Mais voilà : les sondages se sont mis à dessiner une forte hausse du SD, l’amenant à des niveaux tels que ni l’alliance socialistes-verts, ni le centre-droit, ne puissent espérer gouverner. Craignant de perdre, avec leurs dernières plumes, les places qu’ils occupaient chacun leur tour dans une aimable alternance, ces partis ont décidé de se répartir les postes non plus alternativement mais simultanément, et pour toujours. En tout cas jusqu’en 2022, première date de révision de leur accord.

Le coup d’Etat

Stefan Löfven vient donc de revenir sur sa décision : les élections prévues pour 2015 n’auront pas lieu, et le résultat de celles de 2019 est d’avance neutralisé puisque l’entente des sortants, ou plutôt de ceux qui ne veulent pas sortir, est organisée jusqu’en 2022. La Suède aura donc la « chance » d’être la première démocratie du monde à connaître la composition de son gouvernement avant les élections, et à savoir qu’il restera en place indépendamment de leur résultat. C’est sûr que ça renouvelle le concept de démocratie, tellement même qu’il faudrait trouver un nouveau nom.

Mais ce nom existe déjà : comment nomme-t-on un événement où les élections annoncées sont brutalement reportées, le pouvoir annonçant que de toute façon il restera en fonction quel qu’en soit le résultat ? Bien sûr, cela n’a pas été proclamé sur fond d’hymne national par un colonel dont la garde prétorienne vient de s’emparer de la télévision : la Suède n’est pas une république bananière. C’est du moins ce que les naïfs croyaient jusqu’ici. Car si la Junte est habillée en civil, et que le parlement fait partie de la farce, c’est quand-même, très exactement, ce qu’on nomme un coup d’Etat. C’est d’ailleurs ainsi qu’il est vécu de l’intérieur (cf. I.Carlqvist et L. Hedegaard) :

« L’accord de décembre peut valablement être décrit comme un coup d’Etat en douceur, qui engage la Suède sur la route de l’autodestruction.

En apparence, les institutions démocratiques de la Suède semblent intactes, mais à partir de maintenant elles ne sont plus qu’une coquille vide. L’accord de décembre organise ce qu’on pourrait définir comme un système parlementaire à deux faces. Le parlement officiel reste en place, mais dans l’ombre se tapit le parlement réel, constitué des chefs des sept partis du spectre politique traditionnel. Cette officine d’arrière-cour mène ses délibérations en secret, à l’abri de tout regard public. De temps à autre, elle présentera ses décisions au parlement, où la ratification ne sera qu’une formalité.

Le nouveau système peut aussi être décrit comme une « dictature consensuelle ». Quel qu’il soit, celui qui gouvernera dans les huit prochaines années aura dans la réalité des pouvoirs de type dictatorial : ses budgets, fondements de toute politique, disposent d’avance d’une garantie d’approbation. En plus du budget, les partis de l’union ont annoncé qu’ils rechercheraient l’unanimité sur les questions de défense, sécurité, pensions et énergie. »

Indifférence générale ou complicité ?

Si cela s’était passé dans n’importe quelle Ukraine ou Zimbabwe ordinaire, la levée de boucliers aurait été unanime. Pas cette fois : à l’exception d’un bref article dans Valeurs Actuelles, aucun « Indignez-vous ! » vengeur. Pire : un « grand journal du soir », le même qui avait applaudi l’entrée des Khmers Rouges dans Phnom-Penh (décidément, on ne se refait pas), n’en a parlé que pour en faire un modèle : « Une fois de plus, la Suède donne l’exemple. Confrontés à la perspective d’une crise politique prolongée, les partis politiques traditionnels, de gauche à droite, ont décidé de s’unir pour permettre au gouvernement de fonctionner en neutralisant la capacité de nuisance parlementaire du parti populiste. » On admirera incidemment un des plus beaux exemples de langue de bois jamais énoncés dans la presse française. Des élus d’opposition qui votent contre le gouvernement, rejettent ses projets de loi, déposent des amendements, bref, des opposants qui s’opposent ? De la « nuisance parlementaire ». Vite, le parti unique, seule garantie d’un parlement sans nuisance !

La question n’est pas celle des programmes des uns ou des autres ; elle est celle de l’honnêteté de ceux qui s’affirment démocrates, pour aussitôt s’accorder sur la neutralisation des votes qui ne leur conviennent pas. On est démocrate ou on ne l’est pas, le concept ne se divise pas plus que celui de liberté.

On justifie parfois les « exceptions » en ressortant la vieille fable : « Hitler a été élu démocratiquement, donc il y a des limites à la démocratie ». C’est historiquement faux, chacun le sait, mais finalement cela aide à mieux voir la connivence entre le fascisme et la démocratie « avec limites ». Car si Hitler n’a jamais eu de majorité dans un cadre pluraliste, la manière dont il s’est imposé est typique : il était minoritaire lorsque Hindenburg l’a nommé chancelier, dans un gouvernement « d’union nationale » où ne siégeaient de son parti que deux autres ministres. Saisissant leur chance, les nazis ont très vite organisé un changement des règles du jeu qui les rendrait aussi indéboulonnables que nos malins Suédois. Même ainsi, après que l’incendie du Reichstag leur eut donné prétexte à supprimer toutes les conditions d’un débat démocratique, ils n’ont cependant atteint que 43,9 %. Hitler n’a donc jamais représenté démocratiquement le peuple allemand (dont on peut critiquer la passivité, mais c’est un autre sujet). Son arrivée au pouvoir n’est pas la preuve d’une « faille » de la démocratie mais le résultat d’une de ces manœuvres de couloirs qu’on habille du joli nom de gouvernement d’union, négation même des choix différenciés de l’électorat. Les grands partis suédois ne font pas autre chose aujourd’hui, tout en jouant la vertu outragée, car désormais le totalitarisme est pleurnichard. À la naissance… »

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A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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13 commentaires pour Suède : un coup d’Etat en toute tranquillité !

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  2. raimanet dit :

    A reblogué ceci sur raimanetet a ajouté:
    On le sait : Les démocraties en Occident ne sont déjà plus, à de rares exceptions près, que des coquilles presque vides. Pourtant, la menace d’une confiscation totale se rapproche de plus en plus.

  3. boudu dit :

    Beurk. Quelle chose affreuse, ce populisme. Presque pire que le terrorisme. Mais tellement pratique pour rester entre soi, les « éclairés », ceux qui ont l’intelligence et la compétence pour décider à la place de tous.

    Surtout quand on voit le bilan…

  4. Alcide dit :

    Il n’y a aucune justification morale , de conséquences établies ou encore intellectuelle à l’élitisme.

    La seule justification est d’ordre pratique , à partager à moins les parts sont plus grosses , c’est l’argument des porcs.

  5. zorba44 dit :

    Le signataire ne reconnaît absolument plus la Suède où il faisait un voyage d’étude en 1961 ! (mon dieu comme c’est loin et …si proche !). La Suède est devenue une caricature d’elle-même, de son art de vie, de sa tolérance et du souci général d’un establishment de bien-être social.

    Démon-crassie, voilà ce qu’on devrait maintenant penser des institutions !

    Jean LENOIR

  6. LA Confidential dit :

    A rapprocher de ces propos tenus récemment par Jacques Attali et rapportés par Olivier Berruyer : http://www.les-crises.fr/surveiller-tout-comportement-suspect/ (merci pour lui).

    « Aussi, au moment où l’internet des objets va permettre de tout savoir des comportements de chacun, pour nous aider à nous repérer, nous soigner, nous distraire, choisir un restaurant ou un magasin, il serait parfaitement possible de disposer de moyens technologiques pour surveiller tout comportement suspect, sans pour autant avoir à déployer des moyens démesurés de surveillance physique, et dans le respect des libertés publiques et de la vie privée des honnêtes gens. Pour y parvenir, il faudrait déployer des réseaux, des logiciels et des outils dont nos services de police et nos armées ne disposent pas pour l’instant, alors qu’ils existent dans d’autres pays menacés par le terrorisme ».

    et plus loin ce bouquet d’anthologie :

    « Il suffirait pour cela que, sans attendre que d’autres drames les y contraignent, les dirigeants de ces pays aient le même courage, la même lucidité, la même capacité d’anticipation, face à une menace, que Jefferson, Madison, Hamilton, et Washington.
    Et si ces dirigeants, en particulier en France et en Allemagne n’ont ni ce courage, ni cette imagination, ni cette audace, il faudra en changer ».

    Si Shakespeare revenait, il laisserait tomber le Danemark et parlerait de la social-démocratie en général pour apprécier la pourriture de l’Europe.
    On verra ce qu’il restera du troupeau Charlie quand scooter 1er annoncera son projet de contrôle d’Internet et d’éradication des « thèses complotistes » (Attali fait parti du lot ?).

    • matbee dit :

      Les « thèses complotistes » ne font que répondre à des « actes complotistes »….et ces derniers sont très nombreux, il n’y a qu’à voir l’histoire récente.
      Mais ce sont les thèses qu’ILS combattent, non les actes !
      On voit bien sûr pourquoi.

  7. senguine dit :

    Il a l’air bien suffisant et bien content de lui, le Stefan!

  8. brunoarf dit :

    Juncker dit « non » à la Grèce et menace la France.

    « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens », affirme notamment le président de la Commission européenne.

    Intraitable. Dans un entretien au Figaro (29 janvier, édition abonnés), le président de la Commission européenne adresse une fin de non-recevoir au gouvernement grec conduit par Alexis Tsipras. Sur l’annulation de la dette, Jean-Claude Juncker oppose à la Grèce un « non » catégorique :
    « Athènes a accepté deux plans d’ajustement (de redressement, NDLR), elle doit s’y sentir tenue. Il n’est pas question de supprimer la dette grecque. Les autres pays européens ne l’accepteront pas. »
    On a connu le président de la Commission plus conciliant quand, Premier ministre du Luxembourg, il autorisait des dizaines de multinationales à s’affranchir des législations fiscales des pays membres de l’UE.

    Les élections ne changent rien, affirme en substance le président de la Commission européenne. Sans prendre beaucoup de gants :
    « Dire qu’un monde nouveau a vu le jour après le scrutin de dimanche n’est pas vrai. Nous respectons le suffrage universel en Grèce, mais la Grèce doit aussi respecter les autres, les opinions publiques et les parlementaires du reste de l’Europe. Des arrangements sont possibles, mais ils n’altèreront pas fondamentalement ce qui est en place. »
    Vous n’êtes pas certain d’avoir compris ? « Dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités », ajoute encore Jean-Claude Juncker, qui lâche une phrase terrible, qui résume toutes les limites de la démocratie dans l’Union européenne :
    « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »

    http://www.politis.fr/Juncker-dit-non-a-la-Grece-et,29890.html

    La construction européenne est anti-sociale.
    La construction européenne est anti-populaire.
    La construction européenne est anti-démocratique.
    Elle doit être détruite.

    • zorba44 dit :

      Bruno bonjour,

      Bien d’accord avec vous. Les peuples, quoiqu’on leur fasse et surtout par ce qu’on leur fait avaler, se réveillent. Juncker n’aura plus à temps bref que sa cave pour se consoler.

      La dictature des faits et de la pensée ne passe pas et ne passera pas.

      Un jour on comprendra l’identité russe et son esprit… et c’est quelque chose de semblable qu’il nous faut écrire .

      Jean LENOIR

    • Alcide dit :

      L’Europe oligarco-technocratique que nous connaissons est clairement une construction fasciste.

      Les avions de l’OTAN déversent des tonnes de produits à la composition secrète dans les airs.

      On ne m’a pas consulté à ce sujet et vous ?

      Aucun gouvernement n’en parle , c’est bien le signe manifeste du fascisme , il suffit d’observer le ciel pour en être convaincu.

      Une remarque :
      Depuis que les chemtrails sont massivement déversés dans l’atmosphère , la population est sans réaction , amorphe , pour tout dire suiveuse et abrutie .

      Nous le voyons , pas de réaction de masse aux massacres d’Odessa , de Gaza , aux bombardements systématiques de civils dans le Dombass, à l’arnaque de la dette publique ,aux guerres de pillage éhontées, au vol des biens publics pour rembourser l’arnaque, à la ruine assurée suivi de la mise en servitude des peuples par le système bancaire usuraire bâti sur le privilège de contrefaçon monétaire ,au viol des consciences par les caricatures contre les musulmans ou les chrétiens ( les caricatures anti-juives sont réprimés par la loi), les salopes femen ou la théorie du genre d’usage obligatoire .

      Non rien , nada , un troupeau de bofs.

      Je me demande si les gens ne méritent pas leur sort de larbins.

      • zorba44 dit :

        Nous sommes dopés, vous l’êtes à votre insu. Les drogues dont on nous inonde ont pour effet d’annihiler toute forme de résistance.
        Mais lorsqu’on en a connaissance, la liberté de l’esprit est plus forte. Il faut donc informer et informer sans relâche afin de faire bouger les lignes.
        Les dealers (à l’instar de ce qui se passe en Indonésie) méritent tous la peine de mort.

        Jean LENOIR

  9. Marceline Diesell dit :

    Le dévoiement de la règle démocratique selon A. de Tocquevile:
    « Après avoir pris tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière. Il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule. Il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, il les plie, il les dirige . Il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse qu’on agisse. Il ne détruit point, il empêche de naître. Il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve , il éteint, il est bête. Et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux dont le gouvernement est le berger. J’ai toujours cru que cette sorte de servitude réglée, douce et paisible dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on l’imagine avec quelques unes des formes extérieures de la liberté et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple. »

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