Vers un « suicide monétaire de masse » ?

« L’usage immodéré de la « planche à billets » fait-il le lit de la dictature ? La preuve par le « suicide monétaire » de la République de Weimar et l’avènement d’Adolf Hitler ainsi que le rappelle Pierre Jovanovic dans son dernier livre…

En 1918, l’année de la chute de l’empire allemand et la proclamation de la République de Weimar, Oswald Spengler (1880-1936) publie Le Déclin de l’Occident avec cet axiome prophétique : « Après l’ère de la planche à billets, l’ère des Césars ».

Rescapé des charniers de la Grande Guerre qui a anéanti une bonne partie de sa génération, le caporal Adolf Hitler participe le 12 septembre 1919, comme espion de la Sécurité militaire allemande, à une réunion d’une petite formation fondée par Anton Drexler (1884-1942), le Parti des Travailleurs allemands.

Galvanisé par le discours de l’économiste Gottfried Feder (1883-1941) sur la « criminalité de la dette », il y adhère et en devient le leader charismatique – à la rhétorique nourrie par le Manifeste pour briser les chaînes de l’usure, le livre de Feder qui a peut-être changé le cours de l’Histoire… Hitler vient de sceller son destin avec l’Allemagne dans un roulis de relations internationales fort tendues autour de la question des « réparations » de guerre : « Le Boche paiera »…

En Quatorze, les nations belligérantes avaient abandonné le standard or pour « passer en mode planche à billets » afin de se faire la guerre le plus longtemps possible sans être limités par leurs stocks d’or – une tragédie qui appelait d’ores et déjà la suivante…

Hitler, une tragédie allemande…

Fils d’Alois Schicklgruber (1837-1903) – qui change son nom en 1877 – et de Klara Poelzl (1860-1907), le caporal Adolf Hitler a échappé « miraculeusement » à la Grande Faucheuse sur les champs de bataille – comme il échappera encore à 42 tentatives d’assassinat directes ou indirectes…

Le 16 octobre 1919, il donne son premier discours à Munich devant 70 personnes. De discours en tribunes, son audience s’élargit à mesure que l’hyperinflation causée par la surchauffe de la « planche à billets » lamine la population – une tragédie allemande métaphorisée par Nosferatu, le film de Murnau (1888-1931) qui sort en mai 1922, un mois après un discours véhément de Hitler sur « la Dette »…

Sa montée en puissance préoccupe les Alliés. Alanson Houghton (1863-1941) qui fait fonction d’ « ambassadeur » des Etats-Unis en Allemagne s’intéresse au caporal allemand bien avant tout le monde. Il charge Ernst Hanfstaengl (1887-1975), un homme d’affaires germano-américain, d’infiltrer l’entourage de Hitler – et son jeune attaché militaire, le capitaine Truman Smith (1893-1970), de prendre contact avec ce leader si remuant au prétexte d’une interview pour un journal américain.

Celle-ci a lieu le 20 novembre 1922 au 42 Georgen Strasse à Munich. Hitler dit notamment au jeune Smith que « l’utilisation de la planche à billets est le pire crime du gouvernement de Weimar » et qu’elle doit cesser. Le New York Times en publie le compte rendu le lendemain (sous le titre « Une nouvelle idole populaire monte en Bavière ») puis, le 21 janvier 1923, un portait intitulé : « Hitler, la nouvelle puissance en Allemagne ».

La psychologie du futur maître du Reich est autopsiée dans un rapport de l’Office of Strategic Services (OSS devenue CIA après guerre), signé par le Dr Henry Murray (1893-1988) et reproduit dans le livre de Pierre Jovanovic. Le document sera à l’origine de quantité de « révélations » sur le rapport du Führer aux femmes – il y est « crédité » de huit « relations féminines » dont quatre à peine seraient avérées, Maria « Mitzi » Reiter (1909-1992) étant considérée comme son « seul vrai amour »… Alors que ses homologues (dont Mussolini) « consommaient une citoyenne par jour », la tragédie allemande et celle du monde tiendraient-elles à « l’asexualité » d’un dictateur dont le seul aphrodisiaque était l’exercice d’un pouvoir absolu sur l’espèce humaine ?

Un « suicide monétaire de masse »

Rudolf Haventstein (1857-1923), le gouverneur de la Reichsbank, flambe tous les jours 300 tonnes de papier pour imprimer des marks qui ne valent plus rien, à peine sortis de presse, et meurt à la tâche – celle de l’auteur d’un « suicide monétaire de masse » – en novembre 1923, alors qu’échoue la tentative de putsch d’Hitler à Munich…

Non seulement Hitler est « épargné » par les balles qui fauchent seize de ses amis conjurés mais il rate même sa tentative de suicide d’après – son amie Erna Hanfstaengl lui a retiré in extremis le pistolet des mains …

Mais les Allemands vampirisés par l’hyper-inflation se suicident en masse, faute de perspective ou de la venue d’un homme « providentiel » supposé résoudre leurs problèmes de « pouvoir d’achat » – qu’on en juge à cette anecdote : « Une dame était descendue d’un tramway avec une lourde valise remplie de billets. Le temps d’acheter un journal, sa valise disparut, volée par un quidam. Sauf que celui-ci déversa tout l’argent sur le trottoir et s’enfuit avec la valise vide car elle valait bien plus que les trilliards de billets de banque qu’elle contenait ! Les classes moyennes et même supérieures étant détruites et, à cause de l’hyperinflation, ne pouvant vendre leur appartement (le produit de la vente à deux jours d’intervalle ne permettait même plus d’acheter une simple chaise en bois), la prostitution s’y développa à la vitesse de la lumière, ce qui fit la réputation de Berlin en Europe, comme celle de la Thaïlande aujourd’hui en Asie. »

Pour Pierre Jovanovic, « les planches à billets, de la monnaie créée à partir de rien, même pas de l’air frais, ont toujours les mêmes conséquences mortelles » : « N’étant plus basées ni sur l’or ni sur l’argent métal, ces billets de banque cherchent alors un autre socle solide et le trouvent dans le marbre des tombes des cimetières, après avoir provoqué les guerres pour les remplir. La planche à billets française donnera Napoléon, la planche allemande donnera Hitler. Et surtout des cimetières soudain bien remplis avec des millions de morts. »

L’ancien journaliste économique s’étonne que « les livres d’histoire s’obstinent à effacer toute notion économique et sociale ayant permis à Hitler d’émerger en tant qu’homme politique de premier plan ».

Ainsi, le Führer est né « de la faillite des banques allemandes et autrichiennes qui interdisaient aux gens de retirer leur argent » comme de la folie des banques américaines qui ont ruiné leur pays en 1929 et de cette « avidité infinie qui a « conduit le monde au désastre». Il est la vague, née d‘un océan de désespoir, de ressentiment et d’impuissance, qui a enflé en tsunami de haine pour ravager le continent.

Nous y voilà : « L’Histoire se répète et elle va se venger à nouveau avec d’autres Führers. L’addition (depuis le 15 août 1971, date à laquelle les Etats-Unis, ainsi que le reste du monde, sont passés en mode « monnaie de singe ») va être salée. Les cimetières attendent avec impatience et frénésie l’offrande des banquiers. »

Car enfin, « fabriquer de la monnaie à partir de rien est une activité criminelle qui, à défaut d’être compensée, ne peut être expiée que collectivement et qui n’enrichit, au final, que les pompes funèbres, les croque-morts et les 0,01% de la population »…

Depuis l’invention de Gutenberg, «on » n’a pas seulement imprimé des livres pour transmettre savoir et divertissement ou images pieuses, mais aussi « de l’argent à l’infini » – et Pierre Jovanovic invite à considérer la situation actuelle à la lumière de l’incendie qui a embrasé feu le régime de Weimar : « Aujourd’hui, la banque Centrale européenne imprime pour 80 milliards d’euros de fausse monnaie et cela depuis janvier 2015 qui ne profite qu’aux seuls très riches, aux banques et aux multinationales ! »

Lorsque le divorce des signes monétaires avec le réel est consommé et leur réconciliation interdite par les intérêts de quelques-uns, lorsque la ponction de la fiction sur la réalité arrive à la fin de toute possibilité de rente de situation sur une planète en surchauffe, la fin de l’histoire ne sera jamais que la fin d’une mystification sans précédent. Celle qui sanctionnerait la pire « allocation de ressources » de l’histoire humaine. Mais quel trou noir exerce depuis la chute et l’incendie des premières Rome une si peu résistible force d’attraction sur cette histoire si mal partie – et jamais parvenue à son point de fusion avec une humanisation tant prêchée par tant de traditions spirituelles depuis la nuit des temps ? »

Pierre Jovanovic, Adolf Hitler ou la vengeance de la planche à billets, Le Jardin des Livres, 320 p., 23 €

 La lettre du Phénix, le 4 février 2018

A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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15 commentaires pour Vers un « suicide monétaire de masse » ?

  1. Robert dit :

    On peut légitimement penser, dans les circonstances actuelles, que l’histoire bégaye. Mais les données géopolitiques ont bien changé par rapport aux événements relatés, et après tout le pire n’est jamais certain…

    • zorba44 dit :

      Consolez-vous avec « le pire n’est jamais certain… »

      Mais surtout ne dites pas que vous ne saviez pas. En quelques années, internet a permis de tout savoir à qui veut bien s’instruire et réfléchir…

      Jean LENOIR

  2. Para Bellum dit :

    Avez-vous lu son livre Olivier ?
    Moi non.
    Est-ce que Jovanovic s’appuie sur les travaux de Sutton ou non ?

    Dans cette interview organisée par E&R avec Soral et Jovanovic il parlent de la crise de 1929 et celle de 1913 comme les points de départs de la montée d’hitler (c’est surtout Soral qui le fait remarquer).
    Je reste sur cette impression avec Jovanovic,
    Il met tous les banquiers dans le même sac ,en omettant de détacher certains banquiers comme l’ont fait Sutton et Reed.

    http://radio.erfm.fr/?show=l%27heure%20la%20plus%20sombre

  3. roc dit :

    la banque Centrale européenne imprime pour 80 milliards d’euros certes mais elle ne les donne pas aux acteurs de l’économie elle les prête aux banques qui spécule, achète des titres en bourse !
    le jour ou elle revendront tout leurs titres pour rembourser le prix des titres s’effondrera !
    tant qu’elle n’ont personne pour leurs racheter leurs titres les banques et les spéculateurs sont coincés avec !
    c’est pour cela que l’hyperinflation n’apparait pas !

    • Oui la monnaie créée ne circule pas dans l’économie réelle, c’est pourquoi en effet il n’y a pas d’inflation apparente… pour le moment.

      • Robert dit :

        Olivier, la monnaie créée ne circule pas dans l’économie réelle car c’est le but recherché. Tant que les salaires stagneront ou diminueront, ce sera le cas. La monnaie créée est une monnaie « spéculative » et « élitiste » !

      • Oui, on est bien d’accord.

      • roc dit :

        ce sont la uper class qui a palper le fric donc ce qui peut subir l’inflation ce sont les biens acheter par les riches : l’immobilier de luxe, l’art et les grand vin en font partis !

      • zorba44 dit :

        On pourrait appeler cela le paradoxe historique de la création de monnaie qui nourrit la dette sans augmenter les prix…

        Tout indique que cet état de choses ne peut perdurer sinon on arrivera à créer des trillions puis des quadrillions de dettes quotidiennement pour gaver des fortunes chancelantes et éphémères.

        Jean LENOIR

  4. Proutus dit :

    C’est la déflation des années 30 qui a amené Hitler au pouvoir et non l’inflation…

    Après la crise de 1929, les banques centrales n’ont pas fait tourner la planche à billets.
    Ce qui leur sera reproché après la guerre…

  5. rodez21 dit :

    @ Robert
    « On peut légitimement penser, dans les circonstances actuelles, que l’histoire bégaye. Mais les données géopolitiques ont bien changé par rapport aux événements relatés, et après tout le pire n’est jamais certain… »

    Les données géopolitiques n’ont pas fondamentalement changé, les acteurs ne sont plus les mêmes d’un point de vue géographique.
    Nous assistons à un bras de fer entre les BRICS Russie & Iran en tête et les pays du bloc OCDE avec leadership US, dont l’un des aspect est monétaire.

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