Comment le Parlement européen a anticipé, en douce, TAFTA (le traité transatlantique)

Un article d’Arrêts sur images.

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« Tout commence par un message dans un forum sur le traité transatlantique Etats-Unis/Europe, en cours de négociations. Alors qu’on relevait que ce débat était relativement absent des Européennes, un @sinaute, répondant au doux nom de Galou47, poste une petite bombe. Un extrait d’un bulletin d’un groupe de réflexion d’anticipation politique (Leap) : « Le 16 avril dernier, 535 sur 766 Eurodéputés [ont voté un texte mettant en place] l’ISDS, cette fameuse clause que Washington impose aux Européens dans le cadre de l’adoption du TTIP et qui consiste à permettre aux « investisseurs » (multinationales et autres) d’attaquer les États (donc les contribuables) lorsque des changements législatifs pénalisent leurs activités économiques ».

Conclusion ? « Les citoyens-contribuables devront payer des amendes à des entreprises étrangères si, par leurs votes, ils favorisent des régulations (sanitaires ou autres) nuisibles aux profits de ces dernières ! Cerise sur le gâteau : vous pouvez chercher, AUCUN média n’a rendu compte de ce vote ».

Aucun média n’en a parlé ? Voilà une mission pour @si. Et on part confiant : l’@sinaute a posté le lien vers le vote du parlement européen, et on est rapidement tombé sur un article très clair du Monde.fr, expliquant les enjeux des négociations de Tafta à propos de ces fameux tribunaux arbitraux internationaux. Sauf qu’au bout de deux coups de fil et de plusieurs échanges de mail, ça se gâte et les cachets d’aspirine se sont enchaînés. Mais prenons l’histoire dans l’ordre.

L’ISDS pour les nuls, par Lemonde.fr

Lundi 19 mai a débuté le cinquième round des négociations Tafta avec, comme objectif de conclure un accord de libre-échange censé supprimer les dernières barrières douanières et surtout harmoniser toutes les normes (juridiques, environnementales, sanitaires, etc.) entre l’Europe et les Etats-Unis.

Parmi les nombreux sujets qui fâchent, la question des litiges qui peuvent opposer des entreprises et des Etats. Dans le cadre des négociations Tafta, l’Europe et les Etats-Unis négocient pour mettre en place un « mécanisme de règlement des différends des entreprises », appelé aussi ISDS pour « investor-state dispute settlement ».

Ne prenez pas tout de suite votre premier cachet, le principe de l’ISDS n’est pas si compliqué : « Ce type de disposition est présente dans de nombreux traités de libre-échange. Elle a pour but de donner plus de pouvoir aux entreprises face aux Etats, en permettant par exemple à une multinationale américaine d’attaquer la France ou l’Union européenne devant un tribunal arbitral international, plutôt que devant la justice française ou européenne », explique Lemonde.fr.

Aujourd’hui, de tels tribunaux arbitraux internationaux existent déjà. « L’instance privilégiée pour de tels arbitrages est le Centre international de règlement des différends liés à l’investissement (Cirdi), un organe dépendant de la banque mondiale basé à Washington, dont les juges sont des professeurs de droit ou des avocats d’affaire nommés au cas par cas (un arbitre nommé par l’entreprise, un par l’Etat, et le troisième par la secrétaire générale de la cour) », détaille Lemonde.fr.

Vous suivez ? Parfait, continuons : les adversaires de Tafta ne veulent pas d’un tel mécanisme. Pourquoi ? Parce qu’il est plutôt favorable aux entreprises et a abouti à des condamnations record contre des Etats. Exemple : en 2012, l’Equateur a été condamné à payer la somme record de 1,77 milliard de dollars pour ne pas avoir respecté les termes d’un contrat avec un groupe pétrolier. Pas étonnant selon Lemonde.fr : « le mise en place de mécanismes d’arbitrage international tend à favoriser les entreprises, au détriment des Etats. En effet, les entreprises obtiennent rarement gain de cause devant les juridictions des Etats qu’elles attaquent, à l’image du pétrolier Schuepbach, débouté par le Conseil constitutionnel quand il a contesté le moratoire français sur le gaz de schiste ».

Pour les adversaires de Tafta, la cause est entendue : si un tel dispositif était en place, des entreprises américaines pourraient porter plainte contre des Etats européens qui rejetteraient le gaz de schiste, les OGM ou d’autres réjouissances importées des Etats-Unis. Intox ou réelle menace ? Difficile de trancher : en tout cas, Bruxelles avance prudemment face à la montée de l’opposition à ce dispositif. Le commissaire européen en charge des négociations Tafta, Karel de Gucht, a suspendu les négociations sur l’ISDS et a lancé une consultation en ligne de six mois entre janvier et juin, histoire que le sujet ne vienne pas torpiller les élections européennes. Pari à peu près réussi.

Tout est clair ? Très bien, c’est le moment de prendre de l’aspirine en préventif. Pas plus de six cachets de 500 mg par 24 heures. On va rentrer dans le dur.

Qu’ont voté les parlementaires européens le 16 avril ?

Selon le texte posté par notre @sinaute Galou47, le 16 avril, les députés européens ont validé la mise en place d’un dispositif qui permettrait à des entreprises étrangères de porter plainte contre des Etats européens devant des tribunaux arbitraux internationaux. Exactement ce que l’UE et les Etats-Unis sont en train de négocier !?

On a regardé le texte (en anglais) et on a contacté quelques députés européens présents lors du vote. A chaque fois, les mêmes remarques : « Euh, c’est très compliqué », ou la variante : « Ce n’est pas ma spécialité, c’est une tête d’épingle, c’est très pointu ». Deux sources ont accepté de nous aiguiller : Françoise Castex, eurodéputée sortante non reconduite sur la liste PS, et l’assistant parlementaire d’un autre eurodéputé, lui aussi non reconduit sur la liste PS aux Européennes, Liem Hoang Ngoc. Pourquoi ces deux sources ? Castex et Hoang Ngoc sont invités de notre émission de cette semaine consacrée au parlement européen (teasing).

Le fameux texte du 16 avril traite de « la gestion de la responsabilité financière liée à l’Etat-investisseur ». Il s’agit de la première lecture d’une « résolution législative. Pour ceux qui ne sont pas très au fait de tous les textes votés par les eurodéputés, ce n’est que la première étape avant le vote d’une directive (que les Etats européens doivent ensuite transposer), ou un règlement (qui s’impose aux Etats). En clair, la nouvelle assemblée issue des élections européennes devra encore examiner le texte en deuxième lecture. Et si le conseil et le parlement ne s’entendent pas sur un texte commun, il y aura un trilogue, c’est-à-dire une réunion tripartite informelle entre les représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission. On est donc au début du processus législatif.

« C’est sans rapport avec les questions soulevées par le TTIP »

Dans ce texte, on retrouve effectivement les mots clés de l’ISDS : « commerce international », « différends », « arbitrage ». Mais d’après Paul-Ugo Jean, le collaborateur de Hoang Ngoc, « le texte en question est sans rapport avec les questions soulevées par le TTIP ». Pourquoi ? C’est maintenant qu’il faut prendre le deuxième cachet d’aspirine, accrochez-vous : « Ce texte ne porte que sur la protection des investissements et ne s’intéresse pas aux modalités controversés des mécanismes de règlement des différends puisqu’il ne traite que de la question de la responsabilité financière ». Ouch !

En clair, le traité de Lisbonne, qui date de 2009, a considéré que les investissements directs à l’étranger (une entreprise étrangère rachète des parts d’une société européenne par exemple) devaient bénéficier d’une garantie juridique comme les accords commerciaux. Avec un troisième cachet d’aspirine, ça va passer : si une entreprise étrangère investit en Europe, il faut qu’elle ait un minimum de garantie qu’une nouvelle loi ne viendra pas contredire son investissement (changement de la législation sur le travail, ou appel d’offres qui favoriseraient désormais les entreprises nationales).

En cas de contentieux, l’entreprise peut porter plainte. Auprès de qui ? Par exemple, auprès de la commission européenne si elle estime qu’il y a une entrave à la concurrence. Qui juge ? La commission elle-même ou la cour de justice de l’UE en appel. A moins que ce soit un tribunal arbitral. Et qui doit payer en cas de litiges ? C’est là qu’intervient le texte du 16 avril : ce texte définit en réalité le payeur. Selon un principe simple : celui qui paye est le responsable des mesures contestées. Un investisseur s’estime floué par une réglementation de l’UE ? Alors c’est à l’UE de payer, et vice-versa si c’est la faute d’un Etat.

Autrement dit, le texte du 16 avril ne dit rien de la manière dont les litiges doivent être réglés, mais seulement qui va payer les frais de justice (l’UE ou les Etats). Voilà pourquoi le collaborateur de Hoang Ngoc considère que cela n’a rien à voir avec le TTIP et l’instauration ou non de tribunaux arbitraux internationaux.

« Ça ouvre clairement la voie au TTIP »

Sauf que l’eurodéputée (PS) Françoise Castex, n’est pas de cet avis. Certes, le texte ne dit pas comment le litige doit être réglé. Mais il est bien précisé qu’il peut l’être, aussi, par le biais d’un tribunal arbitral (privé). « La commission anticipe le fait que quand un accord de libre-échange [type Tafta] existera, elle ne veut pas à avoir à payer si le litige porte sur une législation nationale », nous explique l’eurodéputée, qui confirme avoir une divergence d’interprétation avec ses collègues. En clair, le texte ne ferme pas la porte à ce qui est négocié avec le TTIP. L’extrait du bulletin de Leap, posté par notre abonné Galou47, était donc dans le vrai ? « Il n’a pas complètement tort. C’est pour ça que j’ai voté contre. On est dans le flou, on ne sait pas ce que ça va entraîner », explique Castex. De tous les eurodéputés PS français, c’est la seule à avoir voté contre.

Et quand on lui fait remarquer qu’il nous a fallu deux jours pour tenter de comprendre ce texte et qu’on a eu le sentiment que ceux qui avaient voté pour ne l’avaient pas bien compris, elle n’est pas étonnée : « Ce texte n’a été travaillé que par la commission du commerce international. A la commission des affaires juridiques, on n’a pas été saisi, tout le monde a donc pensé que c’était juste un texte technique ». Or, pour elle, dans l’esprit, il va plus loin : « Ça ouvre clairement la voie au TTIP. Et tout ce qui touche au TTIP, je vote contre ».

Sébastien Rochat, Arrêts sur images, le 22 mai 2014

Rappels :

Marché transatlantique : la machine à propagande est lancée

Mise en scène mondialiste : la France favorable à une zone de libre-échange transatlantique

A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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10 commentaires pour Comment le Parlement européen a anticipé, en douce, TAFTA (le traité transatlantique)

  1. aviseurinternational dit :

    A reblogué ceci sur Aviseur international.

  2. brunoarf dit :

    L’Europe est le caniche des Etats-Unis.

    Mais ça, on le savait déjà.

    Extrait de la conférence de presse donnée par le Général de Gaulle le 15 mai 1962.

    Je voudrais parler plus spécialement de l’objection de l’intégration. On nous l’oppose en nous disant : « Fondons ensemble les 6 Etats dans quelque chose de supranational, dans une entité supranationale : ainsi ce sera très simple et très pratique ».

    Cette entité supranationale, on ne la propose pas parce qu’elle n’existe pas. Il n’y a pas de fédérateur aujourd’hui en Europe qui ait la force, le crédit et l’attrait suffisants. Alors on se rabat sur une espèce d’hybride et on dit : « Tout au moins, que les 6 Etats s’engagent à se soumettre à ce qui sera décidé par une certaine majorité. »

    En même temps, on dit : « Il y a déjà 6 parlements nationaux, une Assemblée parlementaire européenne, il y a même une Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui est, il est vrai, antérieure à la conception des 6 et qui, me dit-on, se meurt au bord où elle fut laissée. Malgré tout cela, élisons un Parlement de plus que nous qualifierons d’européen, et qui fera la loi aux 6 Etats. »

    Ce sont des idées qui peuvent peut-être charmer quelques esprits, mais je ne vois pas du tout comment on pourrait les réaliser pratiquement, quand bien même on aurait 6 signatures au bas d’un papier.

    Y a-t-il une France, une Allemagne, une Italie, une Hollande, une Belgique, un Luxembourg, qui soient prêts à faire, sur une question importante pour eux au point de vue national et au point de vue international, ce qui leur paraîtrait mauvais parce que cela leur serait commandé par d’autres ?

    Est-ce que le peuple français, le peuple allemand, le peuple italien, le peuple hollandais, le peuple belge, le peuple luxembourgeois sont prêts à se soumettre à des lois que voteraient des députés étrangers, dès lors que ces lois iraient à l’encontre de leur volonté profonde ?

    Ce n’est pas vrai. Il n’y a pas moyen, à l’heure qu’il est, de faire en sorte qu’une majorité étrangère puisse contraindre des nations récalcitrantes.

    Il est vrai que, dans cette Europe « intégrée » comme on dit, il n’y aurait peut-être pas de politique du tout. Cela simplifierait beaucoup les choses. En effet, dès lors qu’il n’y aurait pas de France, pas d’Europe, qu’il n’y aurait pas une politique, faute qu’on puisse en imposer une à chacun des 6 Etats, on s’abstiendrait d’en faire.

    Mais alors peut-être ce monde se mettrait à la suite de quelqu’un du dehors qui, lui, en aurait une. Il y aurait peut-être un fédérateur, mais il ne serait pas européen. Et ce ne serait pas l’Europe intégrée, ce serait tout autre chose, de beaucoup plus large et de beaucoup plus étendu avec, je le répète, un fédérateur.

    Peut-être est-ce cela qui, dans quelque mesure et quelquefois, inspire certains propos de tel ou tel partisan de l’intégration de l’Europe. Alors, il vaudrait mieux le dire.

  3. brunoarf dit :

    Les nationalistes triomphent en Europe.

    Les nationalistes sont dans une dynamique qui les rapproche de plus en plus du pouvoir dans plusieurs pays d’Europe.

    Nous sommes en 1930, et ça fait peur.

    Lundi 26 mai 2014, vers midi :

    Séisme politique en Belgique.

    Aujourd’hui, la Belgique n’a plus de gouvernement.

    Belgique : Di Rupo a présenté la démission du gouvernement après les élections législatives.

    Une photo extraordinaire illustre cet article :

    La Belgique est à nouveau au bord du gouffre nationaliste.

    http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/la-belgique-est-a-nouveau-au-bord-du-gouffre-nationaliste-53824f8335704f05d69d166a

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  5. zorba44 dit :

    Les raclures qui votent ces textes sont eux-mêmes exonérés de toute faute par d’autres textes et, c’est in fine, toujours à l’individu de payer les pots cassés.
    Mais ça ne va pas durer éternellement : il va y avoir du sport à l’assemblée européenne !

    Jean LENOIR

  6. Non merci dit :

    Le Traité Transatlantique est loin d’être signé (fin 2015) !
    *Un collectif unitaire « StopTAFTA » a été crée en France.
    *En Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Royaume-Unis il en est de même. Ces collectifs se sont réunis avec des représentants « StopTafta » de toute l’Europe à Bruxelles pour coordonner leurs actions avant les élections européennes, des manifestations à Berlin, Bruxelles et Paris ont fait le plein..
    * En France des collectifs locaux se montent (aujourd’hui 55)
    * Les régions Ile de France et PACA, Limousin, Picardie, Bretagne … les départements Seine Saint-Denis, Tarn … les villes Besançon, Niort, La Grande Synthe, Saint-Denis, Crévoux, Briançon, Sevran, Cherbourd se sont déclarées « Hors Tafta » et la région Auvergne « contre le Traité », la région Rhône-Alpes demande un moratoire
    *Signez la pétition « PROTÉGEONS NOS COMMUNES, DÉPARTEMENTS, RÉGIONS … DÉCLARONS LES HORS TAFTA ! » —> http://stoptafta.wordpress.com/2014/03/14/declarons-nos-communes-hors-tafta-non-aux-accords-de-libre-echange-entre-les-usa-et-lue/ : Votre maire, votre députés et vos eurodéputés recevront automatiquement le message comme quoi une personne de plus est contre le Tafta !
    *Toutes les informations et l’actualité à ce sujet sur —> http://stoptafta.wordpress.com/
    Organisons-nous pour rejéter ce Traité : Créer ou rejoindre un des 55 collectifs locaux « StopTafta » —> http://stoptafta.wordpress.com/les-collectifs-locaux/

  7. dany dit :

     » si une entreprise étrangère investit en Europe, il faut qu’elle ait un minimum de garantie qu’une nouvelle loi ne viendra pas contredire son investissement (changement de la législation sur le travail, ou appel d’offres qui favoriseraient désormais les entreprises nationales). »
    Combien d’entreprises sont concernées par ces situations ? Par contre, on connait bien celles qui empochent les aides d’Etat et
    s’en vont quelques années plus tard…
    Merci pour cet article.

  8. Excellent article bien documenté sur le TAFTA et ses superbes principes anti-démocratiques, votés par des élus… On marche sur la tête !
    Pour une explication plus ludique (pour les nuls quoi) du TAFTA, c’est par ici : http://www.indigne-du-canape.com/labominable-tafta-gmt-ttip-pour-les-nuls/

    Courage et bravo encore !

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