Evasion fiscale : « Ces 600 milliards qui manquent à la France »

Comment UBS organise une fraude fiscale massive à partir de la France.

« C’est un livre explosif que publie aujourd’hui Antoine Peillon, grand reporter au journal La Croix. Bénéficiant d’informations de toute première main il montre comment la banque suisse UBS organise depuis la France un système massif d’évasion et de fraude fiscale vers les paradis fiscaux. A lire absolument.

Afin de mettre en contexte les informations incroyables auxquelles il a eu accès, le journaliste a croisé différentes sources bien informées pour estimer à 590 milliards d’euros l’ensemble des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux, dont 220 milliards appartenant aux Français les plus riches (le reste étant le fait des entreprises). Environ la moitié de ce total (108 milliards) seraient dissimulés en Suisse, la dernière décennie voyant fuir environ 2,5 milliards d’avoirs par an. Depuis 2000, UBS France aurait soustrait en moyenne 85 millions d’euros au fisc français chaque année, ce qui montre son importance, mais souligne également combien d’autres établissements bancaires, y compris français, participent à ce genre d’activités.

Sous certaines hypothèses, ces données l’incitent à estimer à 30 milliards d’euros le manque à gagner de recettes fiscales dû à la fraude internationale, soit un peu plus de 10% du total des recettes. De son côté, la Commission européenne estime l’importance de la fraude fiscale de l’ordre de 2-2,5 % du PIB des pays européens, soit pour la France de l’ordre de 40 à 50 milliards d’euros au total, dont 15-20 milliards de fraude internationale.

Comment fait la banque UBS pour mener ses opérations sur notre territoire ? Environ 120 chargés d’affaires suisses seraient présents clandestinement en France pour démarcher les grosses fortunes françaises, ce qui est rigoureusement interdit par la loi mais réalisé, d’après Antoine Peillon, en toute connaissance de cause par la maison mère en Suisse. Chaque commercial est muni d’un document, le manuel du Private Banking, « véritable guide en évasion fiscale ». Afin d’être rémunérés en proportion du chiffre d’affaires qu’ils rapportent, les commerciaux sont bien obligés d’enregistrer à un moment ou un autre leurs transactions. Ils le font dans une comptabilité cachée baptisée « carnets du lait » que l’on peut trouver dissimulés dans des fichiers Excel intitulés « fichier vache ». On aura compris l’analogie : la France est une vache fiscale dont il faut traire le lait…

Les commerciaux présents en France utilisent les mêmes techniques que celles mises en évidence par la justice américaine : UBS organise des événements mondains auxquels ils invitent clients et prospects. Dans les documents récupérés par Antoine Peillon on trouve parmi les clients les noms de footballeurs connus, et même d’un haut responsable du football international pour lequel une commerciale note après un rendez-vous à Monaco en 2002 que l’entretien fut « long et difficile, mais fructueux », ou encore un navigateur, un auteur réalisateur de cinéma et… Liliane Bettencourt. Celle-ci est tout bonnement accusée d’avoir enfoui vingt millions d’euros, entre 2005 et 2008, à l’occasion de transferts entre la France, la Suisse et l’Italie par l’intermédiaire de comptes UBS et BNP Paribas, avant de finir, affirme l’auteur, dans des enveloppes remises à des personnalités de droite.

Antoine Peillon lance de nombreuses et graves accusations dans ce livre. Mais il est sûr de ses sources : des cadres écœurés d’UBS en France, en Suisse et des services secrets français. Les preuves dont ils disposent ont visiblement été transmises à plusieurs autorités de régulation, dont l’Autorité de contrôle prudentiel en charge de la surveillance du comportement des banques. Le parquet a été saisi mais ne bouge pas, assurant une forme de protection aux gros fraudeurs. C’est pour lever cette impunité que le journaliste a décidé d’écrire ce livre. Il faut le lire et le faire connaître, pour la démocratie ».

Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au coeur de l’évasion fiscale, Antoine Peillon, Seuil, 2012.

Source : Christian Chavagneux, Alternatives économiques, le 22 mars 2012

Lire ici quelques extraits du livre

Lire aussi : Le vrai scandale des paradis fiscaux : les prix de transfert

A propos Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere, 58 ans Journaliste indépendant Macroéconomie Macrofinance Questions monétaires Matières premières
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9 commentaires pour Evasion fiscale : « Ces 600 milliards qui manquent à la France »

  1. koxi dit :

    C’est pas N. Sarkozy qui nous avait dit (il y a un bon moment si ma mémoire ne m’abuse) que le problème des paradis fiscaux étaient réglés ??

  2. Geraldine dit :

    koxi,

    Sarko dit n’importe quoi, c’est la méthode « gobez-moi ça ». Encore une pépite ce matin dans un entretien à Ouest-France :

    « Je pense que nous sommes sortis de la crise financière, que la confiance revient et que nous sommes en phase de reprise économique. Que n’a-t-on dit des sommets entre Mme Merkel et moi ! Grâce à ces sommets, l’Europe est dotée d’un gouvernement économique qui a surmonté la crise grecque. »

    http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Presidentielle.-Nicolas-Sarkozy-veut-proteger-les-Francais-_39382-2059720_actu.Htm

  3. brennec dit :

    L’enfer fiscal français fait fuir vers les paradis, rien d’étonnant.

  4. zorba44 dit :

    Bonjour,

    Taxation de la fortune, du travail, du capital, des « plus-value », de l’épargne, de la transmission : le cocktail est en effet bien là…

    Jean LENOIR

    (expatrié fiscal …nuance !)

  5. fred dit :

    Pauvres fortunés, obligés de s’exiler loin de leur pays, dans de luxueuses demeures en Suisse ou aux îles Caiman…

    Certains oublient vite ce qu’ils ont « reçu »: une sécurité sociale, une scolarité gratuite, etc… certains mériteraient de vivre au Smic.

  6. Geraldine dit :

    16/04/2012 18:04

    Une information judiciaire a été ouverte le 12 avril par le parquet de Paris sur les pratiques de la banque UBS en France, soupçonnée notamment de blanchiment de fraude fiscale.

    L’enquête a été ouverte contre X pour des chefs de « démarchage bancaire ou financier par personne non habilitée et blanchiment de fraude fiscale et de fonds obtenus à l’aide d’un démarchage illicite, commis en bande organisée », selon une source judiciaire.

    Cette information judiciaire fait suite à une enquête préliminaire qui avait été ouverte début mars 2011 par le parquet de Paris, après la transmission par l’autorité de contrôle prudentiel (ACP), chargée du contrôle des banques, d’une note sur les pratiques commerciales de la banque UBS en France.

    L’enquête, qui avait été confiée au Service national de douane judiciaire (SNDJ), avait été ouverte après que l’ACP (l’ancienne commission bancaire) eut reçu une lettre anonyme évoquant les méthodes d’UBS pour aider des clients à frauder le Fisc, voire à blanchir des fonds, avait alors affirmé Charlie Hebdo révélant l’information.

    L’origine des soupçons des autorités porterait sur une éventuelle « liste secrète tenue par la banque sur les mouvements entre les comptes bancaires français légaux et des comptes suisses non déclarés aux services fiscaux français », affirmaient vendredi Les Echos sur leur site internet.

    http://actu.voila.fr/actualites/economie/2012/04/16/une-information-judiciaire-ouverte-sur-les-pratiques-d-ubs-en-france_2652553.html

  7. Ping : Evasion fiscale : le témoin français qui accuse UBS de harcèlement | Pour un débat sur le libre-échange et sur l'euro…

  8. Ping : Banksters UBS, levez-vous ! | jbl1960blog

  9. rendredescomptes44 dit :

    Si l’on considère certaines grandes sociétés (côtées au CAC 40,le must)et les informations les concernant dont on dispose (Lafarge et son soutien financier à Daesh,Bolloré et le travail des enfants dans des conditions proches de l’esclavage,France-Télécom et son harcèlement institutionnalisé conduisant au suicide de dizaines de salariés,Bayer-Monsanto et la très lucrative vente de produits dangereux,toxiques tant pour les agriculteurs que pour la biodiversité,Lactalis et le lait en poudre qui menace la vie des nourrissons,Wolkswagen et le trucage de ses véhicules polluants,la banque UBS et ses paradis fiscaux,Alstom et la liquidation du patrimoine industriel français avec Kron/Macron,les laboratoires Servier et le mediator,le médicament qui tue)on peut s’interroger sur le comportement de leurs dirigeants.Ces gens ne sont-ils pas des voyous en col blanc ?Peut-on encore affirmer sans sourciller qu’ils sont des « premiers de cordée »oeuvrant pour l’intérêt général ?Si tel était le cas toute la cordée menacerait de s’effondrer.Que font les pouvoirs publics pour limiter leurs nuisances ?Quels sont le degré de connivence et le niveau de corruption entre ces puissances économiques et nombre de « responsables » politiques ?Sous le régime des premiers de cordée macronisés il faut renoncer à la biodiversité,aux droits des personnes,à l’Etat de droit,à la démocratie y compris dans l’entreprise,à la responsabilité et à l’intégrité des dirigeants.Il ne reste plus que corruption à tous les étages,lâcheté,mise en danger de la vie d’autrui,renoncement à la protection des salariés et des plus vulnérables,mépris pour le vivant,mensonge généralisé.C’est ABJECT.Surtout,ne nous taisons pas.

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